Hélène Viannay
Résistante et cofondatrice de l’école de voile des Glénans

Ca y est, la fiche Wikipedia de Hélène Viannay est enrichie, restructurée, augmentée de plus de 10 000 mots! Il manque encore sa photo, qui est en attente de validation par Wikipedia, mais que je peux déjà mettre ici (en remerciant la photothèque des Glénans).

Hélène Viannay (née Mordkovitch) est la cofondatrice du journal clandestin Défense de la France, qui fut le plus gros tirage de la 2nde guerre mondiale, mais aussi un réseau de résistance du même nom qui a été le principal producteur de faux-papiers en France. Après la guerre, avec son mari, ils ont voulu organiser un camp de vacances pour des ancien·nes résistant·es et déporté·es, sur les îles de l’archipel de Glénan en Bretagne Sud. Et les voilà obligé·esd’apprendre à naviguer … de fil en aiguille, ils ont ainsi crée l’association Les Glénans, qui est désormais la première école de voile en Europe. Hélène en a été déléguée générale pendant plus de 20 ans.

Depuis que j’ai découvert les Glénans, je me disais … il y a forcément un lien avec le scoutisme, ce n’est pas possible autrement! Le rôle du bénévolat et de l’engagement volontaire, la participation de tout le monde à la vie quotidienne, la prise de responsabilités, et puis le campement sur les îles! Et … bingo, Hélène Viannay a bien été “éclaireuse laïque” sur Paris, et son mari Philippe a lui été scout.

Elle a passé peu de temps à la FFE, une année ou deux vers ses 13 ans. C’est un choix qu’elle a fait seule, elle connaissait l’état des finances de sa mère et a décidé de s’inscrire au camp sans lui en parler après avoir entendu des amies en parler. Voilà ce qu’elle disait de ces souvenirs :

“Pendant que j’étais en quatrième je me suis inscrite aux Eclaireuses ce qui m’a permis d’avoir de nouvelles amies, de faire de grandes sorties très fatigantes le Dimanche, d’apprendre à camper, à faire la cuisine pour quinze sur un feu de bois (et que de larmes j’ai versées devant les petits pois qui ne voulaient pas cuire). Notre cheftaine, artiste et très jeune, nous faisait énormément marcher sac au dos, dans des endroits merveilleux. En Bretagne nous avons ainsi pris le bateau de service pour Ouessant, dormi sur des tables dans un pensionnat vide, et admiré la nuit le ballet des phares.”  (source).

Dans le livre que Clarisse Feletin lui a consacré, elle ne fait pas de lien particulier entre le fait d’avoir été éclaireuse et ses engagements par la suite. Elle explique y cependant que l’apprentissage de la vie de camp lui a servi au moment de l’exode (en juin 1940, elle quitte Paris pour rejoindre Rodez en bicyclette, en campant seule) et lors des premiers camps sur l’archipel de Glénan (notamment sur l’importance de creuser des feuillés!). Et surtout, c’est en partie dans son réseau d’amies éclaireuses qu’elle recrute les premiers membres du journal clandestin, notamment Marianne Cornevin.

“J’avais été éclaireuse laïque, c’était sympathique mais dans l’immédiat ça ne m’a servi à rien parce j’avais quitté ce mouvement à 15 ans, c’était trop loin. Il se trouve que la première personne que j’ai recrutée après, quand j’ai commencé à faire de la résistance, c’était une de mes anciennes éclaireuses.” (source)

Maud

Manon De Tonnac

Manon De Tonnac (2020)

Manon De Tonnac vit à Romans-sur-Isère dans la Drôme, à 70 ans elle est retraitée de l’éducation nationale où elle a exercé en tant que médecin scolaire. Aujourd’hui elle travaille à la Maison de l’autonomie, et continue ses engagements citoyens.

« J’ai passé mon enfance au Maroc, à Marakech. Là bas, j’ai commencé le scoutisme comme petite aile. Nous avions fait un camp en Ardèche dans un hameau abandonné. C’est comme ça que j’ai découvert la France, la vie indépendamment des parents. Le soir on s’endormait en chantant Doucement, doucement, doucement s’en va le jour (…) à pas de velours… « 

A 15 ans sa famille part vivre en France dans la région parisienne. Elle fréquente la paroisse de l’église Réformée de Chatenay Malabry où elle rencontre le pasteur Jean Abel .

« C’est lui qui m’a fait découvrir les idées du scoutisme : l’esprit d’équipe , avoir des responsabilités dans l’équipe, les plus âgés qui collaborent avec les plus jeunes. J’ai été cheftaine louveteaux pendant au moins 3 ans. Je trouvais impressionnant d’avoir ces responsabilités, mais on savait qu’on pouvait compter les uns sur les autres. »

Ce qu’elle aimait dans le scoutisme ? Les veillées au coin du feu, les randonnées, la simplicité des activités , avoir une vie proche de la nature, et vivre ensemble.

Le scoutisme m’a donné un sens des responsabilités, je me disais : « on ne laisse pas les autres décider, on participe, on s’engage ».

Ensuite, je suis devenue médecin, pas pour gagner de l’argent, mais pour être dans le soin. Ce qui est important pour moi, c’est le vivre ensemble.

En arrivant à Romans, elle fait partie de la FCPE, ce qui lui permet de rencontrer beaucoup de monde . Avec 5 autres personnes, elle créée l’association A pince et à vélo, association de militantisme vélo . Elle s’engage dans Europe Ecologie les Verts, puis dans Génération future, et est élue conseillère municipale à la mairie de Romans.

« Plus tard, quand mes enfants ont été en âge de faire du scoutisme, ils ont été louveteaux, puis éclaireurs et responsables dans la troupe de Valence. Cela les a formés eux aussi dans leur vie, et dans leurs engagements. »

Aujourd’hui Manon, qui participe à toutes les vélorutions , est engagée dans un collectif de citoyens ; elle accueille au sein de son foyer un jeune sans papier avec deux autres familles.

La rencontre et la solidarité sont toujours au cœur de la vie de Manon.

Anne Sautter, rencontre téléphonique du 30 octobre 2020.

Martine Baud, femme à l’écoute

Quand j’ai écrit ce portrait, le titre m’est venu en premier. En écoutant Martine parler de tous ses engagements passés et actuels, et de ceux qu’elle partageait avec son mari, j’entendais presque le téléphone « sonner sans arrêt » ! Aujourd’hui, Martine a deux téléphones : un pour les amis et la famille. L’autre pour assurer la permanence d’écoute téléphonique de l’UNAFAM, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques du département de la Drôme.


Des téléphones, Martine Baud en a souvent deux sur elle. Un pour les amis et la famille – 6 enfants, 15 petits-enfants sans compter ses frères et sœurs, neveux et nièces, toute une tribu vivant en France ou à l’étranger. Et un autre pour assurer la permanence d’écoute téléphonique de l’UNAFAM, l’Union nationale de familles et amis de personnes malades et/ou handicapées psychiques du département de la Drôme. « En moyenne, 5 appels par semaine. Des familles désemparées à l’annonce de la maladie, qui ne savent plus que faire face aux comportements, aux hallucinations de leur proche … Il faut être disponible pour écouter et accompagner. Je suis de garde une semaine sur cinq ! »

« Être de garde », la famille sait bien ce que ça signifie. Pierre, le mari de Martine, était médecin généraliste. En 1966, quand ils s’installent à La Bégude-de-Mazenc, dans la Drôme, il devient médecin de campagne, avec toute la disponibilité que cela sous-entend.
« Ici, le téléphone sonnait 24h/24. Le cabinet médical était à la maison et l’activité principale de ma mère, c’était de s’en occuper : répondre au téléphone, s’occuper du courrier et de l’administratif, vérifier que le cabinet était nettoyé, noter les résultats d’examen communiqués par les laboratoires … » se souvient Candice, une de leurs filles.

L’immense maison est ouverte et ne désemplit pas. Car chez les Baud, l’engagement est permanent.
Dans la salle à manger, le paperboard est toujours installé, témoin d’innombrables réunions : formations scoutes, réunions paroissiales, rencontres UNAFAM…
Dès son arrivée à la Bégude, Martine s’implique dans le Mouvement Jeunes Femmes et part animer des formations dans toute la France sur la conduite de réunions, les relations inter-personnelles, l’expression écrite et orale et l’écoute. Dans une des chambres, une ligne téléphonique particulière est réservée aux permanences téléphoniques pour les femmes battues, « combat malheureusement toujours d’actualité », assurées désormais par le numéro national 3919. « J’ai vécu les combats dans la lutte pour le droit à l’IVG, que Jeunes Femmes a mené en lien avec l’association Choisir fondée par Gisèle Halimi. Pierre m’a beaucoup encouragée : par son métier, il avait été témoin en région parisienne des drames des avortements clandestins. »

Le couple est aussi très impliqué dans la paroisse. Pendant plus de 30 ans, Martine s’occupe de l’école biblique ; elle est désormais membre du Conseil Presbytéral dont elle est déléguée au synode.

A l’écouter, on a du mal à croire qu’elle a été l’enfant extrêmement timide qu’elle décrit. « Le
scoutisme m’a vraiment aidée. On t’apprend très jeune à prendre des responsabilités, à te donner confiance en toi. On t’amène à penser que ton avis est important et que tu as le droit de dire ce que tu penses. » Le scoutisme, c’est d’ailleurs une affaire de famille. On ne compte plus les responsables, les cadres nationaux ou les coordonnateurs de région. Dès les débuts du scoutisme, les parents de Martine sont impliqués. Son père, Jacques Peugeot, est chef à Passy, sa mère, Edith Genoyer, à Marseille-Grignan.
Martine, elle, commence petite aile à Neuilly-sur-Seine, puis éclaireuse et cheftaine à Versailles. Elle y fait deux rencontres essentielles : son amie de toujours, Jacqueline Westercamp (née de Bary), et son futur mari alors chef routier. Elle garde en mémoire la Loi des Éclaireuses qui rappelle de servir les autres, des principes d’hygiène (« la fille qui ouvre sa fenêtre pour aérer ! »), l’amour de la nature et une aversion pour le patriotisme et la totémisation. Sans oublier la capacité à faire des nœuds et le couteau toujours dans la poche ! Plus encore, elle développe une bonne capacité à ne pas être trop impressionnée quand il y a des problèmes. « Il y a ce chant qui m’a marquée, L’espérance, dont un couplet finit ainsi : « Même le plus noir nuage a toujours sa frange d’or… ».

Elle passe également par l’école de voile des Glénans. Apprenant que des camps similaires ont lieu en Corse avec la possibilité d’y faire de la plongée sous-marine, elle s’y rend, apprend à plonger avec des bouteilles et devient une des premières femmes à obtenir son diplôme de monitrice en 1959.

Sa mère pousse ses enfants, notamment ses filles, à faire des études et à être indépendante. Pour Martine, ce seront des études d’anglais et un début dans l’enseignement, avec des expériences atypiques, que ce soit auprès des enfants atteints de poliomyélite à l’hôpital de Garches ou au lycée expérimental de Sèvres. Et pendant ses études et quelques cours séchés côté Quartier Latin, la découverte d’une passion : le cinéma. Aujourd’hui, Martine fait partie de l’association Pro-Fil, fondée par Jean Domon en 1992 qui a pour vocation de faire se rencontrer des cinéphiles chrétiens et de débattre des films vus ensemble. « Et nous avons la chance d’aller chaque année à Cannes !
Peu de gens savent qu’on peut voir gratuitement beaucoup de films pendant le festival ! »

La passion se transmet à certains enfants sans qu’on sache toujours bien comment. Leur fille Candice est aujourd’hui chef-décoratrice sur les plateaux. « Pourtant, la première fois que je suis allée au cinéma, j’avais 16 ans et c’était avec le lycée ! » Olivier et David, alors adolescents, passaient des jours et des jours à faire des petits films de cinéma d’animation. Olivier habite aujourd’hui Clermont-Ferrand, « bien pratique pour aller voir le Festival international du court-métrage ! »

C’est l’heure d’aller s’occuper des fleurs pour le temple, il y a culte à La Bégude demain, comme tous les 3e dimanches du mois. Cette semaine, Martine n’était pas de garde, le téléphone a moins sonné. Pour le goûter, Carine, sa fille, apporte les gâteaux qu’elle a confectionnés. C’est pour qu’elle devienne, elle aussi, indépendante que Pierre, toujours secondé par Martine, s’est démené pour implanter à Dieulefit une entreprise adaptée, puis un foyer d’hébergement, à destination des personnes malades psychiques. Carine y travaille depuis 20 ans dans le secteur de la blanchisserie.
La schizophrénie qu’elle a développée à l’adolescence a rendu toute la famille encore plus engagée et solidaire. La priorité pour Martine, quand elle reçoit les appels pour l’UNAFAM, c’est avant tout que la famille tienne : « Si elle lâche, c’est dur d’aider. » Martine sait que la condition, c’est de pouvoir parler. Et que pour cela, il faut être écouté.

UNAFAM
https://www.unafam.org/
0142630303

Jeanne Menegoz
Le service avant tout.

« Le scoutisme, c’est l’apprentissage du service.
On est sur Terre pour rendre service ! »
Rencontrer Jeanne Menegoz, surnommée Janou, c’est faire un voyage dans le temps aux débuts du scoutisme féminin. C’est aussi découvrir l’histoire d’une famille alsacienne en temps de guerre.


Son père, Paul Stauffert, grandit dans une famille protestante. Mais la 1ère guerre mondiale est un traumatisme. Il combat avec les Allemands alors que ses frères réussissent à rejoindre le camp français. De retour à Strasbourg, il quitte l’Église et n’y retourne plus, malgré les venues régulières du pasteur dans la famille. Après ses études, il travaille pour entretenir les machines d’usine. Un jour, chez un ami, il voit une photo et tombe amoureux d’une des filles qui pose, Anne-Salomé Knopf, qu’il épouse et avec qui il aura 5 enfants. Jeanne est la cadette, elle nait en avril 1922 à Strasbourg.

En 1932, elle a 10 ans. Sa tante Charlotte, qui a entendu parler du scoutisme par un collègue de travail, monsieur Ribe, convainc ses parents de l’inscrire aux éclaireuses. Jeanne est bien contente, car elle s’ennuie beaucoup chez elle. Elle rejoint la section « Loup-Brun ».
C’est là qu’elle fait la connaissance d’une cheftaine qui va marquer sa vie : « Sympa ». Cette jeune institutrice, mademoiselle Elisabeth Clenchi, est une éducatrice remarquable aux yeux de Jeanne et de ses camarades. Elle transmet aux éclaireuses l’importance du service.
Tous les samedis après la classe, les éclaireuses se retrouvent au local rue Serrurier, près de la place Güttenberg, en uniforme (chapeau, cravate, jupe, chemise et cape beige). Elles sont encadrées par des cheftaines d’une trentaine d’années, célibataires et sans enfants. Chacune a sa spécialité d’où vient parfois un surnom, comme « cheftaine Triton » !
Les éclaireuses sont réparties en clans de 5 ou 6 éclaireuses menés par une cheffe de clan. Les cheftaines achètent le matériel de base mais chaque clan peut utiliser son argent pour l’améliorer.
Cet argent provient d’initiatives variées : Jeanne fabrique et vend des filets de provisions, par exemple. Tous les lundis, une cheftaine « fait boutique » et vend du matériel scout stocké dans son appartement : des insignes, les uniformes, de la ficelle … et bien sûr des « bonamos », ces énormes faitouts surnommés ainsi en l’honneur des Bonnamaux, deux frères à l’origine des Eclaireurs Unionistes de France.
Jeanne ne se souvient pas précisément de leurs activités pendant l’année. Elle revoit Sympa leur raconter des histoires, toujours choisies en fonction d’un thème biblique. Car si la section a la particularité de ne dépendre d’aucune paroisse, la Bible et la vie spirituelle sont très présentes. Les jeunes filles chantent beaucoup, en particulier des cantiques.
Les camps sont des temps à la fois simples et marquants. Pour y aller, c’est déjà une aventure : il faut prendre le train avec les tentes, le matériel, le ravitaillement … et même les vélos, comme pour le camp vers les Châteaux de la Loire. Et ce n’est parfois que la première étape. Jeanne se souvient encore du voyage en char à bœufs d’un jour entier qu’elle a fait en tant que cheftaine pour rejoindre le lieu de camp !
Chaque jour, le lever des couleurs est fait au son des chants. Il est chaque fois suivi d’une étude biblique. Les activités quotidiennes occupent beaucoup de temps. Il faut notamment couper du bois pour les installations ou pour le feu qui est utilisé à chaque repas. Jeanne se souvient de certains jeux de ballons, comme la balle au prisonnier. Les clans peuvent obtenir des brevets, comme celui de bricolage ou de cuisine.

En 1939, la guerre éclate. La famille Stauffert part se réfugier dans une maison familiale près de Molsheim. Très vite, Jeanne cherche à se rendre utile. « Je ne pouvais pas rester les bras ballants ! Service, service ! », martèle l’ancienne éclaireuse d’un ton évident.

Elle contacte les éclaireuses de Paris – « à l’époque, on se connaissait toutes ! ». Celles-ci lui
proposent de venir à Paris pour se mettre au service du Service Social, qui lui propose d’aller au préventorium de Senlis, un lieu d’accueil pour enfants malades. La mémoire est intacte pour parler du départ de Molsheim, le 2 janvier 1940 : le froid, le train du soir, le silence des soldats partant pour la guerre et la coupure avec sa famille. Jeanne s’occupe donc des enfants du « Prevent » et y fête ses 18 ans le 17 avril 1940. Quand Paris est bombardée peu après, c’est le départ en urgence pour Hendaye. Là-bas, des hôtels sont ouverts pour accueillir en priorité les enfants isolés. Jeanne suit, s’éloignant davantage de sa famille.
Au même moment, ses parents sont contraints de quitter l’Alsace, bombardée par les Allemands. Ils partent pour la Suisse qui les accepte mais les considère comme des prisonniers, sans aucun droit de donner des nouvelles. Pendant plusieurs mois, Jeanne ne sait pas ce qu’ils sont devenus. Elle reste 8 mois à Hendaye puis rejoint sa tante à Nevers. Finalement, après plusieurs péripéties, Jeanne réussit à passer en zone libre jusqu’à Thonon où l’attendent ses parents.
C’est près de Grenoble qu’ils s’installent, une région qu’elle ne quittera plus. Après la guerre,
Jeanne devient cheftaine d’éclaireuses à Grenoble pendant deux ans. Elle suit des études
d’assistante sociale.
Plus tard, elle épouse Jean-Claudel Menegoz avec qui elle aura 6 enfants. Elle s’engage dans l’équipe d’entraide de la paroisse et fait aussi l’école biblique à Saint-Egrève.

Depuis 60 ans, Jeanne habite dans une magnifique maison avec vue sur le Vercors. Dans une immense armoire, sa fille trouve pour nous un album-photos un peu oublié : celui où sont rangées toutes les photos de sa mère éclaireuse. On y voit des installations soignées, des départs en camp,
des jeunes femmes réparant des vélos, des clans en uniforme posant devant les tentes canadiennes, des temps de promesse … Si le scoutisme a changé par certains aspects, des choses perdurent : la vie en équipe, les jeux dans la nature, ou, comme le rappelle Jeanne, le fait d’être prêt à aider les autres.


Céline Trocmé-Fourcaud
Rencontre le 27/02/2020 à Saint-Egrève

Jacqueline Malherbe
Éclaireuse en Algérie

Boire l’eau de la neige fondue trouvée dans les rochers des montagnes, enlever les scorpions des duvets, descendre chercher la nourriture à dos de mulet … sans oublier les aubépines à perte de vue ! Ce sont quelques-uns des (bons !) souvenirs d’éclaireuse de Jacqueline Malherbe, quand elle faisait du scoutisme en Algérie.


« C’est quand j’ai eu des enfants que j’ai compris ce que m’avait apporté le scoutisme, les valeurs de loyauté, de non-violence, l’amitié, la joie … » Et le lien très fort qui la relie avec la nature. Jacqueline Malherbe ne se lasse pas de la contempler. Elle sent même que, comme pour son père, sa foi passe par la nature.

Née en 1934 à Constantine, Jacqueline Vulcain grandit dans une famille en partie protestante. Le côté maternel l’est – ce sont notamment des Alsaciens arrivés en Algérie au 19e siècle. Le côté paternel est catholique et vient de Marseille. Le père de Jacqueline est athée, mais ne s’oppose pas à ce que sa fille fréquente la paroisse protestante.

A l’époque, le scoutisme et l’Église sont très liés. « Tous les enfants protestants allaient aux éclais », se souvient Jacqueline, qui fréquente aussi bien les éclaireuses que le groupe de jeunes de la paroisse.
Elle grandit en fille unique. Son frère Henri ne naitra que sept ans après elle. Ses parents, Suzy et Gaston, travaillent beaucoup. Ils tiennent un atelier de blanchiment et dégraissage de vêtements ainsi qu’un magasin de repassage qui amènent une clientèle aisée.
Le scoutisme est donc un vrai bonheur, celui d’être en compagnie de camarades de jeux. Jacqueline devient Petite Aile en 1942 dans le groupe des Éclaireuses Unionistes de Constantine. Elle ne rate pas une réunion ! Tous les jeudis, les Petites Ailes se retrouvent dans la salle paroissiale pour faire des jeux, lire la Bible et chanter.
L’uniforme se compose d’une robe beige, d’un col marin blanc, d’une ceinture, d’un béret marron et de socquettes blanches. Sous le col, on fait un nœud avec un tissu écossais, comme un gros nœud papillon.

Jacqueline a conservé quelques objets de son passé scout. Une image sur laquelle est écrit : « À Jacqueline Vulcain en souvenir de son étape de Bec dur », une des étapes qu’on passait en tant que Petite Aile. Sur une autre image datée du 21 mai 1944 – une croix huguenote entourée d’un arceau de fleurs – on y lit : « Une Petite Aile n’a qu’une parole. » Le mot est signé de Plume-Blanche, sa cheftaine. Jacqueline se souvient aussi de sa cheftaine Gisèle Zoppi, surnommée « Rougrouf » et d’Odette Malherbe, sa future belle-sœur.
En 1946, elle devient éclaireuse. L’uniforme change : jupe marron et chemisier blanc – pas de foulard. Les écussons comme le trèfle, symbole des éclaireuses, sont cousus sur le pull.
Une fois par mois environ, une sortie à la journée est organisée. Le seul moyen de locomotion est la marche, ce qui ne leur fait pas peur. Souvent, Jacqueline et ses camarades vont jusqu’à une ferme sur la route de Sétif, à une dizaine de kilomètres de Constantine. Là, c’est « le paradis » : les aubépines en fleurs, les jeux, les discussions, les chants … et la nature à perte de vue.

Le camp de Tala-Guilef en 1947 est un souvenir fort. Même là dans les montagnes, il fait très chaud. Tellement chaud que les grandes marches se font de nuit, à la seule lumière des étoiles. Pour boire ? L’eau des neiges qui restent dans les crevasses. Pour dormir ? Le terrain rocailleux. Mais ces marches permettent de rejoindre un plateau où il est possible de jouer à la thèque, ce que Jacqueline adore.
Au camp, le terrain est en pente. Les installations sont simples mais bien faites. On dort sous tente sur des paillasses. Il n’est pas rare de trouver un scorpion dans son duvet – ils ne sont pas venimeux, mais ça n’est jamais très agréable !
Chaque matin, on range et on décore la tente. Les cheftaines font l’inspection. Puis c’est le lever aux couleurs, le drapeau français qu’on regarde monter en faisant le salut scout. La journée se poursuit avec diverses activités.
Les moments spi sont des temps particuliers pendant lesquels la jeune fille ressent « une foi qui monte, naïve peut-être, mais réelle. Je me sentais particulièrement solidaire et attentive aux autres et à toutes les créatures. Les moments spi’ n’étaient pas aussi poussés qu’aujourd’hui, moins intellectuels, mais peut-être plus sensibles. »
Tous les jours, les cheftaines descendent faire les courses avec un mulet – il n’y a pas de frigo. Le choix à l’épicerie est restreint et les menus sont souvent identiques : tomates et pâtes !
Les éclaireurs campent à côté et certaines activités sont communes, comme les veillées. Le soir, quand commence l’appel au feu, filles et garçons arrivent de façon solennelle et reprennent le chant :

Holà, dedans le campement,
Groupons-nous, c’est l’instant

Puis on prie, on fait des spectacles et on chante, au grand bonheur de Jacqueline. C’est sa deuxième passion après les fleurs ! « Je veux monter sur la montagne », « La Cévenole », « Avec toi, j’ai marché »… les chants scouts sont encore dans sa mémoire.
Le 30 août 1948, pendant le camp d’Oued-Marsa, Jacqueline fait sa promesse : « Je jure sur mon honneur … » Elle reçoit une image – une croix et un verset : « Toute chose coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. » On lui donne l’insigne de la promesse, un trèfle sur fond bleu.
Elle est aussi totémisée. Pas d’épreuves, juste un nom de totem qui souligne que Jacqueline rit de tout. Elle déteste tant ce nom qu’elle préfère le cacher, personne ne l’utilise.
Après ses années d’éclaireuses, Jacqueline fréquente le groupe de jeunes de la paroisse. Elle est cheftaine entre 1950 et 1952, mais se sent peu capable. « Ça n’était pas du tout comme maintenant, on n’avait pas de formation ! »
En 1952, à 18 ans, elle se marie avec René Malherbe. Christine nait en 1953, Michèle en 1957. Celle-ci meurt de maladie en 1958. En 1959, Jacqueline donne naissance à Philippe.
En 1961, toute la famille quitte définitivement l’Algérie et s’installe à La Seyne-sur-Mer. Jacqueline s’investit dans la paroisse de Sanary, devient monitrice d’école biblique, participe aux réunions de jeunes couples et à la chorale. Elle décide de passer le permis de conduire pour « pouvoir aller ailleurs qu’à la pêche », la passion de son mari !
En 1967, c’est le déménagement pour Libourne. La famille s’intègre facilement dans la paroisse. Jacqueline participe aux études bibliques et aux « réunions de femmes » organisées autour de thèmes, bibliques ou non, par le pasteur. Elle fait également partie de l’ACAT et d’une chorale À Cœur Joie. Elle se met à voyager – une autre passion ! Ses enfants font du scoutisme, en tant qu’enfants puis comme responsables. A l’époque, les parents sont moins impliqués qu’aujourd’hui.
Jacqueline tient néanmoins l’infirmerie pendant un camp d’été.

À partir de 1971 et pendant presque 15 ans, Jacqueline devient réceptionniste dans un laboratoire d’analyses médicales. Sans formation, elle apprend sur le tas et acquiert des compétences en gestion.
En 1985, elle s’installe avec son mari à Buxerolles, près de Poitiers. Là, elle s’investit dans des associations d’aide aux devoirs ou d’alphabétisation, notamment au Toit du Monde. Elle s’engage aussi dans l’association AIRE qui gère une maison d’accueil pour les familles et amis de détenus.
Elle continue ses nombreux voyages et s’inscrit dans une chorale, bien sûr !
Aujourd’hui, Jacqueline, veuve depuis 2006, voyage moins, mais elle continue ses engagements associatifs et chante encore.
Ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants ont fait – ou font encore – du scoutisme. À travers eux, elle reste informée de la vie des EEUdF. Elle mesure les différences entre le scoutisme qu’elle a vécu et celui d’aujourd’hui, et plus largement entre les jeunes d’hier et ceux de maintenant.
« Une des grandes différences, c’est qu’on n’était pas mixte. À part ça, c’était moins confortable, on marchait beaucoup, mais sans se plaindre. On avait aussi beaucoup de contacts interreligieux. Mais surtout, à 17 ans, on n’était pas dégourdi. Moi, j’étais très ignorante et naïve sur … tout !
Aujourd’hui, il y a beaucoup de discussions avec les enfants et beaucoup d’intérêt sur des sujets nouveaux, comme l’écologie. »
Ce qui, en amoureuse de la nature, n’est pas pour lui déplaire.

Céline Trocmé-Fourcaud, rencontres téléphoniques les 22 et 24 mars 2020

Gisèle Timmermans

Imaginez un décor à la Marcel Pagnol, mettez en fond quelques chants d’éclaireuse et venez découvrir les souvenirs d’éclaireuse de Gisèle Timmermans et comment le scoutisme a contribué à façonner sa façon de vivre son métier et ses nombreux engagements ! 


Quand on lui a proposé de parler de ses années d’éclaireuse, Gisèle Timmermans n’a pas hésité une seule seconde. Et pour cause : elle n’en garde que des bons souvenirs ! « Sauf peut-être les jeux de ballon… », concède-t-elle. Ce n’est pas faute d’en avoir eu envie… mais il est bien dur de rattraper une balle quand on souffre de strabisme. Gisèle ne s’attarde ni sur les traitements et les opérations des yeux – sans anesthésie – ni sur les remarques et moqueries régulières de son enfance. Elle préfère y voir une expérience qui a renforcé sa force de caractère. Gisèle se définit comme une battante.

Née en 1942 à Aubagne, Gisèle Bocognano grandit en plein cœur de Marseille, dans une famille heureuse et aimante. Sa mère appartient à la famille Fraissinet, riches armateurs protestants. Son père, un corse catholique converti au protestantisme, est d’un milieu très modeste. La guerre le laisse trop marqué pour qu’il puisse continuer son travail. C’est donc sa mère, qui avait eu l’autorisation « exceptionnelle dans son milieu » de travailler en tant qu’infirmière pendant la guerre, qui continue son métier, devenant directrice du tout premier service de radiologie de l’hôpital protestant Ambroise Paré. « La pauvreté, je sais ce que c’est, mais je n’en ai pas souffert. » se souvient Gisèle. « Chez nous, pas de beurre, pas de confiture, mais une joie familiale quotidienne ! ».

Ses parents l’inscrivent avec ses trois frères chez les scouts. A 10 ans, Gisèle devient donc Petite Aile dans la paroisse de Menpenti, éclaireuse en 1955 puis éclaireuse-ainée en 1958. Les réunions ont lieu presque tous les dimanches et les jeudis, dans le local jouxtant la chapelle de l’hôpital Ambroise Paré. Les jeudis se passent sur place et sont dédiés aux activités « sérieuses » comme tricoter des couvertures pour les personnes dans le besoin.

Les dimanches réveillent les souvenirs « à la Marcel Pagnol »… Quelques stations de tramway et voilà les éclaireuses dans les collines, allumant un feu ou même fabriquant un four pour faire cuire des tartes aux pommes, s’écorchant les jambes en passant au milieu des argéras, rusant de mille tours pour les jeux d’approche – les préférés de Gisèle !
Balades, jeux et chants mimés rythment la journée qui se termine souvent par une lecture du Livre de Lézard, un ensemble de réflexions sur la vie scoute, des prières et des poésies écrites par une éclaireuse genevoise. Gisèle aime particulièrement ce moment de réflexion et de partage. Elle revoit encore sa cheftaine et marraine de promesse, Adine Granjon, en train de lire. Cette dernière est très importante dans la vie de Gisèle. Elle lui fait découvrir Dvorak, Anouilh, le gospel, et lui offre surtout, par sa bienveillance et l’affection donnée, les moyens de s’épanouir davantage.

Une fois par an, pour la fête annuelle du groupe local, les éclaireuses troquent leur uniforme (béret marron, blouson marron, gilet beige, cravate verte, jupe et ceinturon) contre des déguisements soignés. Un des rares moments où filles et garçons se côtoient ! Chaque groupe prépare une pièce de théâtre ambitieuse – comme ce spectacle sur la Fondation de Marseille accompagné d’une musique de Berlioz.

Les 5 objets utiles de l’éclaireuse

  • un crayon
  • un papier
  • de la ficelle
  • un couteau
  • un mouchoir

Gisèle ne campe pas souvent l’été mais elle se souvient du camp de Torre Pellice en 1956. Lever aux couleurs, chants, promesse, moments spirituels « qui nous faisaient vivre » sont autant de souvenirs forts. C’est aussi l’année où elle est totémisée « Scaf », du nom d’un petit phoque blanc dans un album du Père Castor, avec comme adjectif « complaisante » – aujourd’hui, on dirait prévenante, serviable. Sa totémisation est un moment de « bizutage pas méchant » et elle garde précieusement l’album de Scaf le phoque !


Après une année d’éclaireuse-ainée à faire de l’animation pour les enfants des bidonvilles de Marseille, Gisèle devient cheftaine des louveteaux de Grignan en 1959. Au bout d’une année, elle arrête cet engagement pour mieux s’investir au centre La Bécède, en Lozère. Ce centre de vacances organise des colonies destinées avant tout aux enfants des mineurs de La Grand-Combe. Pendant 10 ans, Gisèle y met à profit ses talents d’animatrice et d’organisatrice acquis chez les éclaireuses … et y rencontre son mari, Daniel Timmermans avec qui elle aura deux filles, Marianne et Sylvie.

Elle devient enseignante – un métier pour lequel le scoutisme l’aide énormément. Travail en équipe, bienveillance et encouragement, recherche d’une méthode à la fois adaptée à tous et à chacun sont autant de points communs aux deux univers. Gisèle varie les activités et organise des sorties à la journée, ce qui est novateur pour l’époque. « Service, bienveillance et joie » sont les mots qui illustrent et résument l’amour qu’elle porte à son métier.

Gisèle déménage plusieurs fois : en Saône-et-Loire, à Clermont-Ferrand, Lyon, Paris … A partir de 1983 et jusqu’en 2015, elle s’engage dans le mouvement féminin de l’Armée du Salut. A Paris, elle s’investit dans « Le Palais de la Femme », un établissement dédié à la prévention de l’exclusion sociale et à l’insertion des femmes. Elle participe à différents groupes d’écoute et de partage, propose des sketchs et écrit des articles dans le journal La Rose Blanche. En parallèle, elle est scénariste bénévole pour Tournesol, un journal de bande dessinée chrétienne. A Lyon, elle s’implique dans différentes associations : Entraide protestante, Aumônerie, Croix-Rouge, Arche de Noé, et toujours Armée du Salut.

Aujourd’hui, Gisèle sait que le scoutisme lui a permis de renforcer ses aptitudes. « J’étais déjà d’un naturel sociable. Le scoutisme, c’est une leçon de sociabilité. Ça va avec la façon dont je vois la vie ! » Engagée et à l’écoute des autres, aux éclaireuses autrefois ou en tant que visiteuse de la paroisse de Bancel aujourd’hui, elle donne le meilleur d’elle-même.
La rencontre se termine. Sur la table, trois carnets de chants écrits à la main, du temps où elle était éclaireuse. Gisèle a toujours aimé chanter et, encore aujourd’hui, les chants d’éclaireuse résonnent dans sa tête quand elle randonne sur les chemins du Pilat ou des Cévennes.

Céline Trocmé-Fourcaud
Rencontre le 25/02/2020 à Lyon

Christine Fourcaud

« C’est impressionnant comme le scoutisme évolue avec son temps, en se posant les bonnes questions. Ça bouge toujours, ça réfléchit toujours, ça reste pertinent !» Conseillère de Groupe Local aux EEUdF depuis plus de 30 ans, louvette, éclaireuse, responsable, Christine Fourcaud a (presque) toujours fait du scoutisme ! Et tous ses engagements se sont noués autour de la jeunesse et de l’éducation. Car elle en est convaincue : « L’une des meilleures façons d’agir dans notre société, c’est l’éducation ! Prochain objectif : foulards pour tous et toutes ! ».


« C’est impressionnant comme le scoutisme évolue avec son temps, en se posant les bonnes questions. Ça bouge toujours, ça réfléchit toujours, ça reste pertinent ! »
Le regard sur le scoutisme n’est pas forcément positif ? Peu importe : Christine Fourcaud revendique aujourd’hui fièrement son engagement durable !

Née le 2 novembre 1953 à Constantine, Christine Malherbe garde des souvenirs d’Algérie paradisiaques : le soleil, la mer et surtout, la tendresse d’une grande famille. Plusieurs fois par semaine, elle retrouve oncles, tantes, cousins, cousines et grands-parents, toute une tribu protestante et scoute, et ce sont des temps de jeux, de discussions, de partages intergénérationnels.

Son père, René, est réparateur de balances puis gérant d’un magasin d’électroménager. Sa mère, Jacqueline, gère la maison et s’occupe des enfants : Christine, Michèle (décédée en 1958) et Philippe.
La guerre éclate. En 1961, la famille quitte l’Algérie et s’installe à La Seyne-sur-Mer. Là, Christinedevient cadette – l’équivalent de Petite Aile. Elle garde peu de souvenirs de cette époque – des sorties dans les bois à la journée, une grosse chute, des chants…

En 1964, elle est éclaireuse. Il n’y a pas de groupe sur place, elle ne peut donc pas faire les activités d’année, mais elle rejoint ses cousines de Poitiers pour les camps d’été. Ils regroupent alors toutes les éclaireuses de la région, dont certaines parlant le patois poitevin, une découverte !
Du premier camp en 1964 dans le Puy-de-Dôme restent des souvenirs de paillasses remplies de foin odorant et le cahier d’explo – « chef-d’œuvre » de chaque clan répertoriant les souvenirs marquants

Le camp suivant est un vrai coup de cœur : il se passe près de Foix et a pour thème les Cathares.
Christine se passionne pour les visites de châteaux, les jeux, les chants … C’est pendant ce camp
qu’elle est totémisée. Ce rite de passage est vécu comme un vrai honneur. Il se fait en grand secret,
la nuit, seulement en présence des responsables et des éclaireuses totémisées. Beaucoup de rumeurs
circulent, car le secret est de mise. Un faux totem est d’abord proposé : « Chasse d’eau passionnée,
es-tu d’accord ? » Malaise… Le vrai totem est Jody rêveur, à sa grande joie – l’album de Jody qui
recueille un faon fait partie de ses préférées !

Elle fait également sa promesse, ce qui est l’occasion de discussions fortes sur l’engagement avec des cheftaines qu’elle admire, les filles Cheminée.
En 1966, elle fait son premier camp en tant que cheftaine de louveteaux. Elle a alors … 13 ans et demi ! Elle joue son rôle avec conviction, ce qui ne l’empêche pas de s’endormir régulièrement pendant les réunions du soir ou de jouer à la balle au prisonnier avec une passion enfantine ! Elle découvre émerveillée les conseils au clair de lune, où l’on réveille les enfants pour aller écouter Akéla, chanter le chant des louveteaux et crier à la fin « De notre mieux, mieux, mieux ! »
L’année suivante, elle déménage à Libourne, s’implique à partir de 1968 auprès des louveteaux du groupe local sous le regard exigeant et reconnaissant du pasteur, puis crée le groupe des éclais en 1970.

Les choses se construisent véritablement à partir de 1971, quand elle entame des études de psychologie et que l’idée de devenir institutrice prend forme. Commence un va-et-vient entre ce que Christine apprend à la faculté et ce qu’elle vit aux EEUdF. Elle se plonge dans la pédagogie scoute, se forme pour le BAFA, recrute et construit un vrai projet pour le groupe local.
L’été, elle emmène les éclaireuses au camp libre des Cévennes : les clans qui n’ont pas assez de responsables peuvent camper sous la direction de commissaires nationales. Elle en garde des souvenirs vagues et mitigés. Mais des propos très positifs de la directrice du camp sur sa posture et ses compétences la motivent à continuer et à investir le mouvement.
En 1972, elle emmène ses éclais à Thiviers. C’est le premier camp où, pour la première fois, les équipes de responsables et les équipes d’éclais sont mixtes. « Nous étions portés par l’impression d’inaugurer quelque chose au niveau de la mixité ! » C’est un camp mémorable pour Christine : le lieu magnifique, les grands jeux, les feux de camp, mais surtout, les discussions à n’en plus finir.
Tout est remis en question : la totémisation, la religion, les structures du mouvement … Elle
découvre ainsi d’autres façons d’appréhender les choses.
L’année suivante, elle construit un spectacle avec les éclais. Pendant l’été, elle se marie en 1973 avec Jean-Louis Fourcaud avec qui elle aura 4 enfants : Nicolas, Émilie, David et Noé.

Elle devient professeure des écoles. Le scoutisme donne une coloration particulière à sa vie professionnelle. « J’ai été nourrie de ce que j’y ai vécu. J’avais vraiment des souvenirs de partages joyeux, de fous rires, de jeux, de discussions, de plaisir, de projets construits porteurs d’apprentissages, et j’avais envie de vivre des choses de ce type-là dans les écoles. » D’où les nombreux projets, parfois un peu fous, comme un voyage à Paris pour toute l’école. D’où aussi le temps donné et les liens très forts tissés avec les parents d’élèves.

En 1984, son fils aîné Nicolas a 8 ans. Le groupe local de Poitiers est en train d’être remonté par Hélène Masson. Christine aide ponctuellement, au départ pour l’organisation des jeux et des activités, puis davantage sur l’intendance et l’accompagnement des responsables. Elle est nommée « par hasard » conseillère de groupe local. Avec son mari, elle impulse ou accompagne d’ambitieux projets. Ils sont parallèlement engagés dans le groupe Cimade de la région qui soutient la coopérative Taypikala, qui essaye de mettre en valeur le savoir-faire des Indiens de Bolivie. Le couple propose alors au groupe d’éclais d’aller découvrir la réalité du terrain ! Le projet se construit, en partenariat étroit avec la Cimade ; les actions locales pour rendre visible le projet et le financer se développent : soirée festive, spectacle … Le voyage a lieu en 1988 et marque aussi bien les adolescents que les adultes. Ils découvrent une autre culture, rencontrent Sergio et Ana Maria, les responsables de la coopérative, qui les guident dans une solidarité respectueuse.
Quand leur fils devient aîné, l’idée d’un nouveau partenariat avec la Cimade ressurgit. La campagne « Drogue et développement » permet de construire un projet autour des enfants de la rue de La Paz et sur les cultures alternatives à la coca. À nouveau, Christine et Jean-Louis font partie des adultes qui accompagnent les 9 ainé.e.s de Poitiers en Bolivie en 1994.
L’habitude de construire des projets solidaires en partenariat avec des associations est ancrée dans le groupe local de Poitiers. C’est aussi l’exigence des EEUdF ! Les équipes d’ainé.e.s partent au Bénin avec Initiative et Développement, au Sénégal et au Mali avec la Cimade…

Aujourd’hui, Christine est toujours conseillère de groupe local, avec la même volonté d’allier
convivialité et exigence. Elle a vu l’évolution de la place des parents dans le mouvement. « Avant, les responsables prenaient beaucoup plus en charge que maintenant. Aujourd’hui, les cadres locaux assument de plus en plus la responsabilité du groupe local. J’ai parfois peur que les adultes prennent trop de place. Il faut laisser les responsables être à fond, les laisser continuer à inventer ! En même temps, il faut les accompagner, notamment sur le plan pédagogique. »
Elle a vu ses enfants s’investir à leur tour dans le scoutisme et devenir des « passeurs pour grandir. »
Elle continue à tisser des liens : avec la paroisse, avec les autres mouvements de scoutisme à travers le collège du scoutisme français à Poitiers, avec les partenaires associatifs … tout ce qui permet que le scoutisme soit inscrit dans la Cité.
Finalement, à y regarder de plus près, tous les engagements de Christine se sont noués autour de la jeunesse et de l’éducation : l’école, son engagement autour de la librairie jeunesse La Belle Aventure, le scoutisme … Elle en est convaincue : « L’une des meilleures façons d’agir dans notre société, c’est l’éducation ! Prochain objectif : foulards pour tous et toutes ! »


Céline Trocmé-Fourcaud, rencontre téléphonique les 6-7-8 avril 2020