Geneviève Poujol, sociologue de l’éducation populaire

On apprend tristement le décès de Geneviève Poujol, le 27 mars 2023.

Je l’avais rencontrée début 2020 pour lui parler du projet des Astrales. Elle en était très émue et tenait à suivre nos découvertes. Elle m’avait confié ne plus trop réussir à lire, encore moins sur un écran et donc je devais l’appeler pour lui raconter.

J’en avais profité pour l’interroger sur son parcours d’éclaireuse. Car elle aussi fait partie des Astrales inspirantes !

Née à Toulon, en 1930, elle est Petite Aile à Montpellier. « J’étais très malheureuse et très peureuse. Je jouais le rôle de la poule mouillée aux PA », raconte-t-elle, en fumant des tas de cigarettes. 

À 12 ans, elle habite Paris et elle est éclaireuse unioniste. « Je ne me souviens pas trop mais il y avait un conflit au sein de la paroisse entre les protestants libéraux et les protestants plus orthodoxes. Le pasteur a mis tout le groupe unioniste à la porte. Nous sommes finalement rattaché au Foyer de l’Âme, paroisse protestante à Paris, près de Bastille. Mon père est proche du mouvement du christianisme social, libéral très militant. Ma sœur est cheftaine. La cheftaine-adjointe va devenir plus tard ma belle-sœur. J’aime les promenades, les camps, le feu de camp. On jouait la comédie, on disait des bêtises. » 

Pendant la Seconde guerre mondiale, elle se souvient du manque de nourriture. Ses deux frères sont dans le maquis. Le scoutisme a été interdit pendant la guerre. « On était assez fière de continuer à en faire, malgré l’interdiction. On avait l’impression de faire quelque chose de transgressif sans vraiment se rendre compte de ce que cet interdit signifiait. Je me souviens d’un gentil allemand qui m’aide à remettre mon sac sur le dos. » 

« Il n’y avait pas de tissu donc pas d’uniforme. L’uniforme était une jupe marron ou une robe pour le camp. On avait des culottes bouffantes pour faire des cabrioles sans montrer notre culotte. » 

Une ado un peu « tristouille »

« Je suis au collège Sévigné à Paris. Je suis une ado un peu tristouille, ils me secouent. Je deviens adjointe aux louveteaux à 16 ans. Je conduis un camp à 18 ans. Comme je ne savais pas bien gérer l’argent, j’avais tout dépensé, mon père payait les notes. Même si c’était une épreuve, cette responsabilité m’a fait du bien. J’avais même égaré un louveteau mais cela ne m’avait pas empêché de dormir. C’était une belle époque, on était toute une bande de copains et copines. » 

« Jean-Jacques de Felice, le célèbre avocat, défenseur des droits humains, chef dans la paroisse, voulait donner une orientation plus sociale au scoutisme. On allait recruter dans les quartiers populaires de Bastille, au grand dam de certains pasteurs qui trouvaient cette action inutile. Je me souviens des petits gamins qui couraient sur le toit du temple pendant le culte. Je me faisais gronder par le pasteur. C’était dans les années 1945-50. »

Elle a finalement épousé un chef éclaireur de la paroisse du Luxembourg, « un certain Michel Rocard avec qui j’ai eu deux enfants, Sylvie et Francis », me raconte-t-elle, toujours avec beaucoup d’humour.

Le meilleur du scoutisme 

Quand je lui demande ce qu’elle retient de son expérience du scoutisme, elle me répond : « Nous prenions beaucoup de risques, sans doute étions-nous trop jeunes pour encadrer d’autres enfants plus jeunes que nous, les parents s’en moquaient. Et on donnait des responsabilités à des filles si jeunes, on devait être un peu irresponsable à cette époque, ou déjà féministe ! » 

Souvenir de la Fédération française des Eclaireuses

« La FFE est née des Unions chrétiennes de Jeunes Femmes. Les Unions chrétiennes étaient plutôt implantées dans les milieux prolo, alors que le scoutisme concernait plutôt les bourgeois (Les filles étaient aussi investies dans le Mouvement Jeunes femmes). Ma sœur et moi venions de la bourgeoisie, le scoutisme nous permettait de nous émanciper. C’était notre bonne qui venait des Unions chrétiennes. On se moquait des Unions chrétiennes alors qu’elles faisaient du très bon boulot. Le scoutisme quand il marche réussit très bien aux jeunes bourgeois. Car ils peuvent prendre des risques, des responsabilités. » 

Engagement et vie professionnelle 

Elle est militante à Jeunes Femmes, Peuple et culture et au PSU. Son amie Evelyne Sullerot lui « met des coups de pied au cul », comme elle le raconte. « C’est vous qui allez l’écrire ce livre sur la publicité et les magazines ! », lui dit Evelyne Sullorot. « Sois belle et achète » est le premier livre écrit par Geneviève. « Colette Audry et Evelyne Sullerot m’ont beaucoup poussée. Ce qui va lancer ma carrière ! » 

Elle reprend des études en sociologie, passe sa thèse en 1970. Elle travaille comme permanente de l’Association pour la diffusion de la recherche sur l’action culturelle à la fin des années 1960 et au début des années 1970. Elle travaille ensuite à l’Institut national d’éducation populaire (INEP) et devient en 1978 rédactrice en chef des Cahiers de l’animation. 

Elle contribue à des dictionnaires du mouvement ouvrier, du militantisme. Elle écrit « Un féminisme sous tutelle. Les protestantes françaises de 1810 à 1960 » en 2003 qui permet de rattraper le retard de connaissances sur l’action des femmes dans le protestantisme, notamment celles investies dans les Unions chrétiennes de jeunes femmes dont elle se moquait, quand elle était plus jeune.

Avec Maud et Diane, nous avions eu la chance de lui rendre visite à l’automne 2021 pour lui raconter la suite du projet. Elle était contente de notre visite et que ce projet de valorisation de parcours de femmes engagées dans la société, le militantisme… se poursuive.

Laure Salamon

Simone Troisgros

Puisque nous sommes au milieu d’un mouvement social dur contre la réforme des retraites, avec une intersyndicale qui tient depuis 3 mois, intéressons-nous … à une grande figure du syndicalisme!

Simone Troisgros, passée par le scoutisme comme guide puis cheftaine, commence l’action syndicale à 15 ans. A 14 ans, elle est apprentie couturière, et exerce ensuite dans le secteur de la métallurgie. Sa vie entière sera marquée par l’action syndicale, au sein de la Confédération Française des Travailleurs Chrétiens jusqu’en 1964, puis lors de la scission, à la Confédération Française Démocratique du Travail. Elle y est notamment secrétaire générale adjointe pendant 20 ans : en effet, lors de la fusion après la 2nde guerre mondiale, des sections féminines et masculines de la CFTC, il est acté statutairement que le poste de SG adjoint sera réservé à une femme. Sous ce signe significatif, Simone Troisgros porte fortement la spécificité de l’action syndicale féminine, et les difficultés d’accès aux responsabilités des femmes dans les syndicats. Elle sera également très active à l’échelle internationale.

Son action se déploie aussi dans le domaine de ce qui est appelé le « tourisme populaire » : c’est un peu oublié aujourd’hui, mais les syndicats ont été après la guerre une force motrice dans le domaine des vacances et du développement des structures de tourisme pour les classes populaires : comme par exemple les villages vacances.

Bref, une sacrée figure! Sa page Wikipedia est désormais bien enrichie et structurée, il y manque en revanche encore une photo.

Maud

Denise Capriroli,
infirmière, résistante

Denise Capriroli, photo Maitron

Nous n’avons pas beaucoup d’informations sur Denise Capriroli. Un nom dans un livre d’or EDF, dans la rubrique « Services civils de guerre« , qui indique qu’elle était cheftaine d’une meute de louveteaux à Hirson, dans l’Aisne.

Elle est visiblement membre des Forces françaises Intérieures (FFI), comme infirmière : c’est à ce titre qu’elle obtient à titre posthume la médaille de la Résistance. Elle est tuée lors des combats pour la libération de Hirson, la ville où elle était cheftaine, alors qu’elle allait avoir 20 ans. Une rue y porte aujourd’hui son nom.

Une notice du fameux dictionnaire Maitron lui est consacrée.

Maud

Rosine Crémieux, psychanalyste et résistante

Rosine Crémieux, couverture de son livre

La première chose qui m’a attirée vers Rosine Crémieux, c’est son visage et sa silhouette sur la couverture de son livre La Traine-Sauvage (et aussi le titre de ce livre, énigmatique et attirant). Pendant longtemps, elle est restée sur notre liste sans que l’on puisse s’atteler à sa fiche Wikipedia (il nous manquait une source nationale pour coller aux critères). Les choses viennent de se débloquer, et on a donc pu créer sa page.

Après avoir été éclaireuse neutre, Rosine Crémieux est jeune résistante, elle fait fonction d’infirmière auprès d’un hôpital de campagne dans le Vercors, dont toute l’équipe se réfugie dans une grotte du fait des combats. La Wehrmacht donne l’assaut de la grotte, fusille la majorité des blessés sur place, d’autres le lendemain … et emprisonne puis déporte à Ravensbrück les 7 infirmières. Rosine Crémieux est donc déportée comme résistante (et non comme juive). Dans les parcours que nous avons retracé, et malgré le grand nombre de résistantes mortes en déportation, on a l’impression que cela signifie une possibilité d’être rescapée supérieure (à comparer avec le parcours de Madeleine Lévy, également résistante et arrêtée à ce titre, mais déportée comme juive et morte à Auschwitz). Plus tard, elle est psychologue et psychanalyste de l’enfant. Elle co-fonde aux côtés de grands noms, la revue Psychiatrie de l’enfant, dont elle est un pilier jusqu’à sa mort.

Dans cet article de Libération, on retrouve ce qui touche aussi dans son parcours : son rapport joyeux, presque insouciant, à ses premiers engagements. « La Résistance, à 20 ans, c’est facile et joyeux. On rejoint les gens avec qui on a envie d’être quand on a cet âge-là » dit-elle.

Maud

Shatta Simon, résistante de la Maison de Moissac

Shatta Simon à Moissac, photo origine inconnue

Née en Roumanie, Shatta Simon fait partie de la section israélite de la FFE comme cheftaine, tandis que son époux Édouard dit Bouli est aux EI. Durant la guerre, elle appartient à la Sixième : la 6ème section de l’Union générale des israélites de France (UGIF) à laquelle les organisations juives ont l’obligation de se rattacher sous le régime de Vichy. La Sixième correspond à l’organisation du scoutisme israélite (les EI et la FFE-I), et devient rapidement une organisation de résistante juive, entre réseaux de résistance civile (sauvetage, fourniture de faux-papiers), puis de résistance armée (avec plusieurs maquis).

Avec son époux, elle ouvre à partir de 1939 la Maison de Moissac, qui devient durant la guerre, un lieu de refuge pour des enfants juifs et un lieu de passage pour des personnes engagées dans la résistance juive. On estime que plus de 500 enfants y furent cachés. Vous pouvez en savoir plus notamment ici.

Sa page Wikipedia est disponible ici.

Denise Joussot, artisane de la fusion EEDF

couverture du livre Eclaireuses pendant la guerre

Denise Joussot est entrée « tardivement » dans le scoutisme laïque, comme cheftaine à la FFE-neutre. Elle devient commissaire de province, puis commissaire nationale de branche. C’est à ce titre qu’elle œuvrera ardemment, avec Jean Estève, à la fusion des éclaireuses neutres et des Éclaireurs de France, pour donner naissance au « nouveau mouvement » des EEDF en 1964. Cette fusion sera aussi le début de la fin pour la FFE, chaque section travaillant alors à construire un mouvement coéduqué de son côté.

Denise Joussot a également été reconnue Juste parmi les Nations, pour avoir caché une de ses éclaireuses qui était juive, ainsi que sa famille, pendant la guerre. Elle a écrit un livre compilant témoignages et explications sur les Eclaireuses pendant la guerre en Rhône-Alpes.

On lui doit notamment un joli texte que je vous invite à lire : l’éducation par la confiance.

« Cher Monsieur […] aurez-vous encore l’inconscience ou la témérité de nous envoyer vos enfants, pour que nous les aidions à devenir des hommes libres et généreux, dont la vie sera heureuse et difficile ? Car la liberté et la fraternité sont des biens qui coûtent cher, Monsieur, mais nous ne croyons pas que l’homme puisse réunir son bonheur s’il n’est malgré tout libre et fraternel« 

Elle a désormais une page Wikipedia.

Maud

PS : on cherche des photos de Denise Joussot si jamais vous avez ça!

Madeleine Lévy, résistante déportée, petite-fille d’Alfred Dreyfus

Madeleine Lévy est la petite-fille d’Alfred Dreyfus, ce qui explique sans doute que son parcours retienne l’attention plus que d’autres. Éclaireuse neutre à Paris, elle s’exile à Toulouse dans le contexte de la guerre et des persécutions contre les personnes juives. Elle y est assistante sociale, et résistante au sein du mouvement Combat. Surveillée par la Gestapo, elle est arrêtée par la milice en 1943, puis déportée comme juive à Auschwitz. Elle y meurt en 1944.

Après quelques améliorations de notre part, vous pouvez trouver plus d’infos sur sa page wikipédia!

Maud

Mylaine Weil, déportée et psychologue

Mylaine Weill

Pour le projet des Astrales, Mylaine Weil (née Veil), 99 ans, a accepté de raconter quelques souvenirs de ses années d’éclaireuses, ainsi que ses rencontres avec Adelaïde Hautval.

Mylaine, en tenue d’éclaireuse (collection familiale)

« J’étais éclaireuse à Nancy. Je me souviens du clan des Abeilles… du local du Haut-du-Lièvre où avaient lieu chaque semaine nos réunions du jeudi. Je me souviens des cheftaines dont l’une, Tatchou, sera une active résistante dans les années 42-45 (Geneviève Pittet). Je me souviens aussi d’une rencontre dans les Vosges avec les Éclaireuses de Strasbourg et leur cheftaine Adelaïde Hautval. »

Dans un récent documentaire sur Adelaïde Hautval, dite Haidi (1906-1988), Daniel Cling a raconté le parcours de cette médecin psychiatre protestante, envoyée à Auschwitz pour avoir défendu une famille juive. C’est grâce à ce documentaire que j’ai eu connaissance de l’histoire de Mylaine et que j’ai cherché à retrouver sa trace. Comme j’avais interviewé sa soeur Janine, je n’ai pas eu trop de mal à la retrouver. Elle m’a gentiment reçue à l’automne 2021 chez elle à Paris.

En 1940, Mylaine et sa famille quittent la Lorraine et s’installent à Grenoble où, à la demande de Margot Mörch et avec son aide, Mylaine créée une petite section d’éclaireuses neutres. « Comme Tatchou, Margot s’est impliquée dans des groupes de résistance… et elle a aidé et caché des tas de gens. » Margot Mörch était sous-directrice du foyer de l’étudiante à Grenoble. En février 1944, Mylaine, issue d’une famille juive, est déportée à Auschwitz-Birkenau.

« Le scoutisme m’a certainement bien aidé à tenir le coup…, m’a-t-elle confiée. Et puis j’ai eu cette chance de retrouver Haidi Hautval pendant mon court « séjour » au Revier (l’infirmerie du camp). Elle y était médecin et… je l’ai reconnue. “Vous avez une tête de cheftaine d’éclaireuses”, lui ai-je dit. Je me souviens bien de ma surprise et de cette phrase bien peu respectueuse… mais le respect au camp… Grâce à elle, je me suis retrouvée au « Canada », commando le moins mauvais à Auschwitz. Tout était question de hasard. Une succession de chances m’a permis de revenir. »

Après la guerre, Mylaine s’est mariée, a eu cinq enfants. Elle a repris ses études, est devenue psychologue, a exercé comme rééducatrice du langage écrit et a continué à la retraite dans des groupes de soutien scolaire.
Aujourd’hui, elle est à la tête d’une tribu de 12 petits-enfants, 25 arrières-petits-enfants, dont certains ont tâté du scoutisme.

Elle cite les noms de Liliane Klein-Lieber ; Juliette Vidal et Marinette (Juste parmi les nations, résistantes), Geneviève Pittet, mariée à Priacel (Tatchou). « Voilà des femmes qu’il ne faut pas oublier », conclut-elle.

Jane Sivadon,
assistante sociale, directrice de l’école des surintendantes d’usine et résistante

Jane Sivadon
© ONAC de Paris, dossier de CVR de Jeanne Sivadon Droits réservés

Jane Sivadon (1901-1995), de son vrai nom Jeanne Lucie Eugénie Sivadon, s’est illustrée par son travail d’assistante sociale et de résistante. Elle était membre de la Fédération française des Eclaireuses et a créé avec une amie une section neutre.

Selon la fiche du maitron, dictionnaire en ligne du mouvement ouvrier et du mouvement social, Jane Sivadon a suivi la formation de l’Ecole des surintendantes d’usine à Paris pour aider les autres.

Cette école, inspirée du modèle anglais, formait des femmes pour intervenir dans les usines, en veillant à la santé physique et morale des ouvrières, ainsi que de jouer un rôle de médiation entre les ouvrières et la direction.

En juillet 1933, elle est appelée pour venir travailler dans l’Ecole des surintendantes d’usine dont elle devient directrice en 1939.

Elle y rencontre Berty Albrecht, héroïne de la Résistance et co-fondatrice du mouvement Combat. Jane Sivadon s’engage dans la Résistance et l’Ecole qu’elle dirige devient un « nid » de Résistance.

Pour lire la suite, voir sa fiche wikipedia.

Francine Dumas,
militante féministe protestante

Francine Dumas
Francine Dumas (1917-1998) (extrait d’une photo avec son mari) © SHPF

J’ai découvert le parcours incroyable de Francine Dumas en écrivant la fiche du Mouvement Jeunes Femmes dont elle est une des co-fondatrices.

Cette grande intellectuelle protestante a eu une certaine influence sur les réflexions concernant le couple et la sexualité, notamment dans les milieux protestants. Son parcours est évidemment moins connu que celui de son mari André Dumas, théologien.

L’absence de fiche wikipedia devait être comblée, surtout qu’elle est citée dans le dictionnaire des féministes et dans celui des figures protestantes.

C’est une grande fierté de savoir que Francine Dumas a été cheftaine au sein de la Fédération française des Eclaireuses !

Sa fiche est donc accessible ici.