Jacqueline Malherbe
Éclaireuse en Algérie

Boire l’eau de la neige fondue trouvée dans les rochers des montagnes, enlever les scorpions des duvets, descendre chercher la nourriture à dos de mulet … sans oublier les aubépines à perte de vue ! Ce sont quelques-uns des (bons !) souvenirs d’éclaireuse de Jacqueline Malherbe, quand elle faisait du scoutisme en Algérie.


« C’est quand j’ai eu des enfants que j’ai compris ce que m’avait apporté le scoutisme, les valeurs de loyauté, de non-violence, l’amitié, la joie … » Et le lien très fort qui la relie avec la nature. Jacqueline Malherbe ne se lasse pas de la contempler. Elle sent même que, comme pour son père, sa foi passe par la nature.

Née en 1934 à Constantine, Jacqueline Vulcain grandit dans une famille en partie protestante. Le côté maternel l’est – ce sont notamment des Alsaciens arrivés en Algérie au 19e siècle. Le côté paternel est catholique et vient de Marseille. Le père de Jacqueline est athée, mais ne s’oppose pas à ce que sa fille fréquente la paroisse protestante.

A l’époque, le scoutisme et l’Église sont très liés. « Tous les enfants protestants allaient aux éclais », se souvient Jacqueline, qui fréquente aussi bien les éclaireuses que le groupe de jeunes de la paroisse.
Elle grandit en fille unique. Son frère Henri ne naitra que sept ans après elle. Ses parents, Suzy et Gaston, travaillent beaucoup. Ils tiennent un atelier de blanchiment et dégraissage de vêtements ainsi qu’un magasin de repassage qui amènent une clientèle aisée.
Le scoutisme est donc un vrai bonheur, celui d’être en compagnie de camarades de jeux. Jacqueline devient Petite Aile en 1942 dans le groupe des Éclaireuses Unionistes de Constantine. Elle ne rate pas une réunion ! Tous les jeudis, les Petites Ailes se retrouvent dans la salle paroissiale pour faire des jeux, lire la Bible et chanter.
L’uniforme se compose d’une robe beige, d’un col marin blanc, d’une ceinture, d’un béret marron et de socquettes blanches. Sous le col, on fait un nœud avec un tissu écossais, comme un gros nœud papillon.

Jacqueline a conservé quelques objets de son passé scout. Une image sur laquelle est écrit : « À Jacqueline Vulcain en souvenir de son étape de Bec dur », une des étapes qu’on passait en tant que Petite Aile. Sur une autre image datée du 21 mai 1944 – une croix huguenote entourée d’un arceau de fleurs – on y lit : « Une Petite Aile n’a qu’une parole. » Le mot est signé de Plume-Blanche, sa cheftaine. Jacqueline se souvient aussi de sa cheftaine Gisèle Zoppi, surnommée « Rougrouf » et d’Odette Malherbe, sa future belle-sœur.
En 1946, elle devient éclaireuse. L’uniforme change : jupe marron et chemisier blanc – pas de foulard. Les écussons comme le trèfle, symbole des éclaireuses, sont cousus sur le pull.
Une fois par mois environ, une sortie à la journée est organisée. Le seul moyen de locomotion est la marche, ce qui ne leur fait pas peur. Souvent, Jacqueline et ses camarades vont jusqu’à une ferme sur la route de Sétif, à une dizaine de kilomètres de Constantine. Là, c’est « le paradis » : les aubépines en fleurs, les jeux, les discussions, les chants … et la nature à perte de vue.

Le camp de Tala-Guilef en 1947 est un souvenir fort. Même là dans les montagnes, il fait très chaud. Tellement chaud que les grandes marches se font de nuit, à la seule lumière des étoiles. Pour boire ? L’eau des neiges qui restent dans les crevasses. Pour dormir ? Le terrain rocailleux. Mais ces marches permettent de rejoindre un plateau où il est possible de jouer à la thèque, ce que Jacqueline adore.
Au camp, le terrain est en pente. Les installations sont simples mais bien faites. On dort sous tente sur des paillasses. Il n’est pas rare de trouver un scorpion dans son duvet – ils ne sont pas venimeux, mais ça n’est jamais très agréable !
Chaque matin, on range et on décore la tente. Les cheftaines font l’inspection. Puis c’est le lever aux couleurs, le drapeau français qu’on regarde monter en faisant le salut scout. La journée se poursuit avec diverses activités.
Les moments spi sont des temps particuliers pendant lesquels la jeune fille ressent « une foi qui monte, naïve peut-être, mais réelle. Je me sentais particulièrement solidaire et attentive aux autres et à toutes les créatures. Les moments spi’ n’étaient pas aussi poussés qu’aujourd’hui, moins intellectuels, mais peut-être plus sensibles. »
Tous les jours, les cheftaines descendent faire les courses avec un mulet – il n’y a pas de frigo. Le choix à l’épicerie est restreint et les menus sont souvent identiques : tomates et pâtes !
Les éclaireurs campent à côté et certaines activités sont communes, comme les veillées. Le soir, quand commence l’appel au feu, filles et garçons arrivent de façon solennelle et reprennent le chant :

Holà, dedans le campement,
Groupons-nous, c’est l’instant

Puis on prie, on fait des spectacles et on chante, au grand bonheur de Jacqueline. C’est sa deuxième passion après les fleurs ! « Je veux monter sur la montagne », « La Cévenole », « Avec toi, j’ai marché »… les chants scouts sont encore dans sa mémoire.
Le 30 août 1948, pendant le camp d’Oued-Marsa, Jacqueline fait sa promesse : « Je jure sur mon honneur … » Elle reçoit une image – une croix et un verset : « Toute chose coopère au bien de ceux qui aiment Dieu. » On lui donne l’insigne de la promesse, un trèfle sur fond bleu.
Elle est aussi totémisée. Pas d’épreuves, juste un nom de totem qui souligne que Jacqueline rit de tout. Elle déteste tant ce nom qu’elle préfère le cacher, personne ne l’utilise.
Après ses années d’éclaireuses, Jacqueline fréquente le groupe de jeunes de la paroisse. Elle est cheftaine entre 1950 et 1952, mais se sent peu capable. « Ça n’était pas du tout comme maintenant, on n’avait pas de formation ! »
En 1952, à 18 ans, elle se marie avec René Malherbe. Christine nait en 1953, Michèle en 1957. Celle-ci meurt de maladie en 1958. En 1959, Jacqueline donne naissance à Philippe.
En 1961, toute la famille quitte définitivement l’Algérie et s’installe à La Seyne-sur-Mer. Jacqueline s’investit dans la paroisse de Sanary, devient monitrice d’école biblique, participe aux réunions de jeunes couples et à la chorale. Elle décide de passer le permis de conduire pour « pouvoir aller ailleurs qu’à la pêche », la passion de son mari !
En 1967, c’est le déménagement pour Libourne. La famille s’intègre facilement dans la paroisse. Jacqueline participe aux études bibliques et aux « réunions de femmes » organisées autour de thèmes, bibliques ou non, par le pasteur. Elle fait également partie de l’ACAT et d’une chorale À Cœur Joie. Elle se met à voyager – une autre passion ! Ses enfants font du scoutisme, en tant qu’enfants puis comme responsables. A l’époque, les parents sont moins impliqués qu’aujourd’hui.
Jacqueline tient néanmoins l’infirmerie pendant un camp d’été.

À partir de 1971 et pendant presque 15 ans, Jacqueline devient réceptionniste dans un laboratoire d’analyses médicales. Sans formation, elle apprend sur le tas et acquiert des compétences en gestion.
En 1985, elle s’installe avec son mari à Buxerolles, près de Poitiers. Là, elle s’investit dans des associations d’aide aux devoirs ou d’alphabétisation, notamment au Toit du Monde. Elle s’engage aussi dans l’association AIRE qui gère une maison d’accueil pour les familles et amis de détenus.
Elle continue ses nombreux voyages et s’inscrit dans une chorale, bien sûr !
Aujourd’hui, Jacqueline, veuve depuis 2006, voyage moins, mais elle continue ses engagements associatifs et chante encore.
Ses enfants, petits-enfants, arrière-petits-enfants ont fait – ou font encore – du scoutisme. À travers eux, elle reste informée de la vie des EEUdF. Elle mesure les différences entre le scoutisme qu’elle a vécu et celui d’aujourd’hui, et plus largement entre les jeunes d’hier et ceux de maintenant.
« Une des grandes différences, c’est qu’on n’était pas mixte. À part ça, c’était moins confortable, on marchait beaucoup, mais sans se plaindre. On avait aussi beaucoup de contacts interreligieux. Mais surtout, à 17 ans, on n’était pas dégourdi. Moi, j’étais très ignorante et naïve sur … tout !
Aujourd’hui, il y a beaucoup de discussions avec les enfants et beaucoup d’intérêt sur des sujets nouveaux, comme l’écologie. »
Ce qui, en amoureuse de la nature, n’est pas pour lui déplaire.

Céline Trocmé-Fourcaud, rencontres téléphoniques les 22 et 24 mars 2020