Thérèse Klipffel pasteure et première femme présidente de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine
Thérèse Klipffel, pasteure et première femme présidente d’Église protestante en France

Cette éclaireuse alsacienne (1920-2006) a pris des responsabilités dans le scoutisme féminin, puis devenue pasteure, elle poursuit ses engagements dans la catéchèse.
Elle devient la première femme pasteure à présider une Église protestante quand elle est nommée présidente de l’Église réformée d’Alsace et de Lorraine en 1982.
Ainsi, elle se retrouve à accueillir le pape Jean-Paul II en visite à Strasbourg, le 9 octobre 1988 à l’occasion d’une célébration œcuménique. Une situation assez inédite mais tout à fait logique car elle est la présidente de l’Église Réformée d’Alsace-Lorraine et la vice-présidente de la Fédération protestante de France.
L’historienne Gabrielle Cadier-Rey raconte cet épisode dans un article.
Elle a beaucoup œuvré à la reconnaissance des travaux de théologienne luthérienne, Suzanne de Dietrich.
Elle devient commissaire provinciale de la Fédération française des Éclaireuses pendant la Seconde guerre mondiale puis devient ensuite commissaire nationale. Très attachée à la FFE, elle a travaillé jusqu’à sa mort au tri et à la conservation des archives du mouvement.
Laure Salamon
Elle fait partie des douze femmes présentées dans le calendrier des EEUdF en 2021.
Soirée visio en collège scoutisme français
Jeudi 8 avril avait lieu une soirée en visio animée par des membres des Astrales à destination des cadres et responsables du collège du scoutisme français de Poitiers. Le thème Femmes et scoustisme : 100 ans d’histoire a mis à l’honneur la FFE et les GDF avec au programme : de l’histoire, la découverte de femmes scoutes inspirantes, un peu d’art et de chant ! L’alternance entre moment en petits et grand groupes a permis à chacun de participer activement. Si d’autres groupes sont intéressés par ce format (d’autres collèges SF, des groupes locaux…), faites nous signe !
Faire vivre le centenaire dans sa région : les EEUDF d’Aquitaine prennent la pose
Les responsables EEUDF d’Aquitaine se sont emparé-es de la proposition d’activité « tableaux vivants » et ont reconstitué des photos de la FFE !
Pour voir toutes ces oeuvres, rendez-vous sur le site des EEUDF.
Adelaïde Hautval, médecin et résistante
Adelaïde Hautval, « Haïdi », médecin, résistante et défenseuse des droits humains
Adelaïde Hautval,
médecin et résistante

Cette éclaireuse alsacienne (1906-1988), fille de pasteur, a défendu pendant toute sa vie les droits humains.
C’est une femme d’une très grande force de caractère, capable de défendre une famille juive malmenée par la police allemande pendant la Seconde guerre mondiale. Elle refuse de participer aux expériences abominables des médecins nazis dans les camps de la mort. Elle sauve de nombreuses femmes ou les aide à soulager leur souffrance dans ces camps.
Son père s’appelait Philippe Haas et était pasteur réformé ; sa mère s’appelait Sophie Kuntz. C’est la dernière de sept enfants.
Dans un entretien accordé en 1972 à un journaliste de la BBC, Adelaïde Hautval surnommée Haïdi a révélé que son père portait un intérêt particulier à la question juive. Il décrivait les Juifs comme le « Peuple du Livre », se sentait plus proche d’eux que de ses voisins catholiques et voyait également une grande analogie entre la tristesse du peuple hébreu en exil et celle d’une famille alsacienne privée de sa terre natale qu’était la France avant la guerre franco-prussienne. Elle ajoute : « Cette révérence envers les Juifs ne m’a jamais quittée. Je ne peux pas oublier qu’ils ont souffert plus qu’aucun autre peuple dans l’histoire ». C’est ce qui peut expliquer son attitude envers les juifs.
Cheftaine de la Fédération française des Éclaireuses
Scolarisée à Guebwiller, elle veut devenir médecin après avoir été soignée d’une blessure à la jambe. Ado, elle est cheftaine chez les éclaireuses protestantes de Guebwiller, au sein de la Fédération française des Eclaireuses. Après son bac, elle étudie la médecine, avec une spécialité en psychiatrie. Son père voulait changer de nom après la 1ère guerre mondiale et l’a francisé de Haas en Hautval, ce que Adelaïde fera reconnaître officiellement après la 2e guerre mondiale. Elle fonde avec son frère un institut pour enfants en difficulté et part suivre des études en Suisse en 1939. La population alsacienne est évacuée vers le Sud-Ouest. Adélaïde part à Limoges, puis à Vauclaire en Dordogne. Elle commence à travailler à Lannemazan en 1941. En 1942, elle essaye de se rendre en Alsace pour le décès de sa mère, mais reste coincée à Belfort. Pour rentrer à Lannemazan, elle envoie une valise lourde à Limoges chez une de ses amies qui est commissaire de la Fédération française des Eclaireuses. La valise se perd, Adelaïde doit retourner à Vierzon pour la chercher, en juin 1942. Elle franchit la ligne de démarcation sans laisser-passer, elle est arrêtée et transférée à Bourges. Comme elle défend une famille juive maltraitée par les soldats allemands et se confectionne une étoile jaune en papier, le SS lui dit : « Puisque vous les défendez, vous partagerez leur sort ». Elle se retrouve à porter l’étoile et un bandeau « amie des juifs ».
Envoyée dans les camps du Loiret, elle assiste à l’arrivée des juifs, arrêtés et enfermés au Vel d’Hiv. Elle vit aussi la séparation des enfants et de leurs parents. Malgré les tentatives de sa sœur et de son directeur d’hôpital, Haïdi est envoyée à la prison Orléans, puis au fort de Romainville en novembre 1942 et au camp de Compiègne. Elle réussit à écrire à sa sœur et jette des lettres du convoi en route la Pologne. Elle arrive à Auschwitz le 17 janvier 1943 et y reste jusqu’au 2 aout 1944.
Comme elle est médecin et parle allemand, elle est envoyée au block 22, à l’infirmerie, appelée le Revier. En mars 1943, le médecin chef Wirths lui demande de participer à des expériences gynécologiques, elle refuse de poursuivre quand elle se rend compte de ce qu’ils font. Un autre médecin tente de lui faire faire des anesthésies mais après la première et seule opération à laquelle elle a participé, elle refuse de poursuivre ces expériences de stérilisations au rayon X. « J’en souffre encore d’avoir fait la 1ère opération » répondra-t-elle à un journaliste qui l’interroge sur cette première opération. « C’est contraire à mes convictions », dira-t-elle à Wirths pour ne plus en faire. Au terrible docteur Mengele qui lui demande de l’assister dans ces expériences sur les jumeaux, elle répond : « Cet ordre est-il définitif ? ». « Je ne peux pas la forcer à ce qu’elle ne veut pas faire », aurait-il dit à son entourage pour expliquer le refus d’Adelaïde à sa proposition qu’elle a déclinée.
Elle tenait tête aux nazis
Pour Georges Hautpmann, le médecin qui a écrit sa biographie, le fait qu’elle ait échappée à la mort alors qu’elle a tenu tête aux nazis est assez étonnant. « Il y a un aspect mystérieux. Je pense qu’elle avait pris un réel ascendant sur les médecins », dit Georges Hautpmann. Elle parle des nazis en ces termes : « Ce sont des faibles qui cherchent à dissimuler leur faiblesse sous des rêves de compensation. Et si on leur tient tête un peu, ils sont sans réaction et sont démontés. » Les médecins étaient précieux pour les nazis, ils ont mieux survécus que les autres prisonniers, fait remarquer un observateur lors d’une conférence sur Haïdi. Une autre explication vient du fait qu’elle était « aryenne » pour les nazis et non juive. Ils pouvaient donc avoir pour elle une forme de respect.
Entre novembre 1943 et mars 1944, Adelaïde est malade du typhus mais survit. En août 1944, elle est transférée à Ravensbrück, au camp de Neuengamme. « De nous deux, le vainqueur ce n’est pas vous », a-t-elle dit au chef du camp. Renvoyée à Ravensbrück en septembre 1944. Elle soigne, épargne les femmes, les reçoit à l’infirmerie pour qu’elles se reposent, demande à ce qu’on leur mette un peu de rose sur les joues pour qu’elles aient l’air moins malades et évitent ainsi la chambre à gaz. Elle se lie d’amitié avec une détenue hollandaise, Aat Breur, qui réalise des portraits d’Haïdi. Elles resteront amies même au delà de la guerre. À la libération du camp, le 30 avril 1945, Adelaïde joue la Marseillaise sur le piano trouvée dans une maison d’un des dignitaires nazis.
Engagée contre la torture en Algérie
Elle reste pour soigner les femmes intransportables, avec Marie-Claude Vaillant-Couturier, Aat Breur et Geneviève Leider. Elle reçoit la Médaille de la reconnaissance française. En 1946, elle rédige ses souvenirs, qui seront édités bien plus tard…en 1988, puis réédités en 2006. Elle travaille au service hygiène scolaire et habite à Groslay (Val d’Oise) dans une maison qu’elle partage avec une amie connue à Strasbourg. Elle est organiste au Foyer de Grenelle à Paris. Elle dénonce la torture en Algérie et la répression d’une manifestation d’Algériens.
En 1964, elle est citée comme témoin au procès intenté par Wladyslaw Dering, un chirurgien polonais, collaborateur des médecins nazis. Il avait réussi à échapper à la justice et à s’installer à Londres. Wladyslaw Dering a porté plainte en 1962 contre l’écrivain américain Léon Uris, auteur du roman Exodus car il estimait qu’un passage du roman lui causait un grave préjudice et ruinait sa réputation. Il demandait des excuses et des dommages-intérêts. Adelaïde Hautval a témoigné pour dire que c’était possible de s’opposer aux nazis, ce que Dering prétendait impossible.
Léon Uris est à l’origine de la reconnaissance d’Adelaïde Hautval. En 1965, elle est nommée Justes parmi les nations, titre de reconnaissance de celles et ceux qui ont aidé et sauvé des juifs pendant la guerre. Adelaïde Hautval justifie son comportement et dit son refus de la lâcheté : « les événements terribles débutent par de simples gestes de lâcheté ».
Le juge Moshe Bejski, président de la commission des Justes de Yad Vashem dit d’elle qu’elle est « une des plus remarquables personnes que l’humanité a connue ».
Une école porte son nom dans son village d’origine
Le 12 octobre 1988, elle met fin à ses jours après avoir accompagné son amie jusqu’à la mort.
Un hôpital porte son nom à Villiers-le-Bel (Val d’Oise), une rue à Blaye (Gironde), une école à Guebwiller vient d’être inaugurée en 2019. Une exposition réalisée par l’Union des Eglises protestantes d’Alsace et de Lorraine est présentée dans plusieurs lieux. Une bien maigre reconnaissance pour cette femme de convictions.
Laure Salamon
(avec l’aide du livre Rester humain ! : Leçons d’Auschwitz et de Ravensbrück (Buigraphie d’Adelaïde Hautval), éditions Ampelos, 2018, 10€.
Elle fait partie des douze femmes présentées dans le calendrier des EEUdF en 2021.
Pour lire sa fiche wikipedia, c’est par ici.
Nouveaux objets
Quelques nouveaux objets provenant d’une ancienne éclaireuse ont été mis en ligne (carnet de chant, carnet de camp…)
Antoinette Butte
Antoinette Butte : rédactrice du manuel et de la loi de l’éclaireuse, fondatrice de la communauté de Pomeyrol
Antoinette Butte : rédactrice du manuel et de la loi de l’éclaireuse, fondatrice de la communauté de Pomeyrol

Antoinette Butte est née le 12 juillet 1898 à Lunéville (Meurthe-et-Moselle) et est décédée le 30 avril 1986 à l’âge de 87 ans dans la communauté de Pomeyrol (Bouches du Rhône). Très connue pour avoir fondé cette communauté œcuménique de prière et pour s’être entièrement consacrée à une vie de diaconesse protestante inspirée du mouvement des Veilleurs1, Antoinette Butte est aussi une fondatrice du scoutisme féminin. Elle ne fait pas partie des cinq fondatrices dites de « la main »2, pourtant elle a largement contribué bien avant 1921 à l’émergence d’un scoutisme féminin en rédigeant par exemple le premier manuel de l’éclaireuse ainsi que la loi des éclaireuses.
La vie d’Antoinette semble dès ses début promise à un avenir dans le scoutisme, alors même que le mouvement au niveau mondial est à ses débuts. Elle naît dans une famille mixte, d’une mère alsacienne luthérienne et d’un père catholique lorrain, elle fréquente différents groupes protestants tels que des foyers de jeunes filles ou bien l’Armée du Salut, mais restera toujours très attachée à une forme profonde d’œcuménisme. Elle écrivait à ce propos en 1980 : « Ainsi, à l’heure actuelle encore, les anciennes Éclaireuses se reconnaissent-elles entre elles, dans le mouvement œcuménique, parce qu’elles ne « font pas de l’œcuménisme » comme tant d’autres, mais qu’elles SONT œcuméniques, ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Ceci par formation de jeunesse et sans confusion ni complexes. »3. C’est aussi dans sa structure familiale que l’on retrouve chez Antoinette un terrain propice au scoutisme, Henri Butte son père, est officier de cavalerie et membre fondateur de l’école des Roches et de l’école des Chênes-verts, des écoles qui s’inscrivent dans des réseaux d’éducation nouvelle et de pédagogies expérimentales caractéristiques de cette fin de XIXe siècle et en inspiration directe de ce qui se pratiquait alors en Angleterre : exemple la création du scoutisme par un autre officier, Lord Baden Powell. Mais Henri Butte n’aura pas le temps de s’intéresser au scoutisme, il meurt dès le début de la première guerre mondiale, laissant sa femme Marie et ses trois filles seules déménager à Paris. Avant cet épisode dramatique de sa vie et à propos de son enfance passée à Lunéville et de ses vacances en Suisse avec ses cousines, Antoinette Butte aimait à rappeler que c’est là qu’elle pratiquait le scoutisme avant l’heure. Elle se souvient dans ces années 1910-1913 avoir formé une « bande » organisée, avec ses codes et ses règles et surtout ses aventures : « Nous avions notre sigle mystérieux, les S.M.A.E.H.K.B.A, notre loi secrète, notre langage muet en présence des adultes (celui des sourds-muets, copié sur le Larousse) et chacune un surnom. Une hiérarchie aussi : le chef était l’aînée (responsable donc des sottises) j’étais le stratège, fertile en inventions d’aventures, les deux autres le gros de la troupe, un peu traînasseuses, et la petite dernière l’enfant de troupe. »4. Pour Antoinette le scoutisme n’aurait rien inventé, elle voit en Baden Powell un catalyseur qui aurait su capter l’esprit de bande, très présent dans les groupes d’enfants, et le transformer en une pédagogie nouvelle et attractive. Mais l’engagement d’Antoinette dans la création du scoutisme féminin serait resté vain si elle n’avait pas déménagé à Paris où elle rencontre alors des femmes très engagés dans la transformation de cette « esprit de bande » en un mouvement d’éducation populaire.
La famille Butte s’installe donc à Paris en 1915, Antoinette et ses sœurs s’inscrivent alors au lycée Victor Duruy. Elle se retrouve rapidement au cœur d’un microcosme parisien protestant dans lequel un scoutisme féminin organisé est en train de naître. Au cours d’une visite au foyer de jeunes filles de la rue de Naples, Antoinette rencontre un premier groupe informel créé par Mlle Fuchs et qui s’apparente à une compagnie d’éclaireuses5. Les jeunes filles portent des uniformes, font la promesse de « servir » les autres et sont au nombre de 42 membres6. Le groupe hésite cependant à prendre le nom d’« éclaireuses » en raison d’une pièce de théâtre éponyme qui connu un certain succès en 1913 et qui associait ce terme aux militantes féministes du tournant du XIXe-XXe siècles7. Un autre groupe scout féminin se forme également au même moment à la paroisse Sainte-Marie de la Villette, sous l’égide de Georgette Siegrist. C’est dans ce contexte qu’Antoinette Butte s’engage dans la création du scoutisme féminin bien avant la déclaration des statuts de la FFE. Elle fait la rencontre d’une évangéliste8, Mlle Camille Savary, ancienne institutrice de profession désormais en charge des études bibliques à l’UCJF et responsable du foyer de la « Mission Populaire », rue Marcadet à Montmartre. Envoyée pour prêter main forte en tant que monitrice, Antoinette est très vite missionnée pour adapter le scoutisme masculin naissant et en proposer une version structurée aux jeunes filles du foyer. Violette Mouchon, alors responsable des UCJF se montre enthousiaste et lui prodigue des lectures théoriques tel que Éclaireurs de Baden Powell, qu’elle délaisse au profit de l’ouvrage Le système des patrouilles de Roland Philips qui l’inspirera profondément. Antoinette et son entourage reçoivent aussi le soutient des Éclaireurs Unionistes par l’entremise de Jean Beigbeder et finisse par installer un secrétariat des Éclaireuses au foyer UCJF situé 9 rue Daunou sous la responsabilité de Georgette Siegrist. Bien que non considérée comme une membre de la main, c’est à dire des cinq fondatrices de la FFE qui constituèrent à partir de 1921 la première équipe nationale du mouvement féminin, Antoinette Butte est une fondatrice à part entière. Alors qu’elle prépare son baccalauréat et envisage d’entrer à la faculté de droit, elle rédige sous les bombardements de la première guerre mondiale9 la loi de l’éclaireuse et le premier manuel de scoutisme féminin en France. C’est aussi avec Violette Mouchon, avec qui elle partage des cours de couture10, qu’elle élabore un chapeau à confectionner soi même pour équiper les nouvelles éclaireuses. C’est également à Antoinette que l’on doit le vocabulaire de la FFE qui se distingue de celui utilisé alors dans le mouvement masculin : les patrouilles sont appelées des clans, les troupes des sections, la cape et la cravate entre dans l’uniforme féminin ainsi que le trèfle comme symbole de ce nouveau mouvement. Alors que des YMCA américains sont en visite à Paris, Antoinette est même désignée comme responsable des Éclaireuses en France. Il se trouve qu’elle est avant tout une jeune lycéenne très engagée à la fois dans ses études mais surtout dans ces mouvements et ces œuvres avec qui elle partage une vision sociale très aboutie pour son âge : « Cette section devait dans notre esprit former et fournir des cheftaines pour les quartiers populaires et faire sortir les bourgeoises de leur milieu. »11. Mais l’implantation dans le quartier populaire de Montmartre ne se fait pas aussi facilement, Antoinette se souvient avoir reçu quelques quolibets et parfois même des pierres de la part des enfants du quartier voyant déambuler ces drôles de filles, tandis que dans les milieux bourgeois parisiens les mères de famille changent parfois de trottoir à leur approche12. Pour conclure sur ce moment historique de la vie d’Antoinette Butte, il faut peut être nuancer et replacer dans son contexte sa participation à l’émergence du scoutisme féminin. Si il est indéniable qu’elle a participé activement à la création des bases théoriques du mouvement et à l’organisation d’un des premiers groupes reconnu (celui de la rue Mission Populaire Évangélique), cela s’inscrit dans un contexte particulier. Alors que le pays est en guerre, les groupes de scoutisme féminin se structurent peut être mieux que les groupes masculins dont les chefs sont au front, mais cela se passe dans une relative autonomie et une diversification des pratiques. D’après la chercheuse Takako Tobita, ce n’est qu’avec la fondation de la FFE en 1921 lors du Congrès d’Épinal, que les pratiques s’uniformisent et que les groupes se réunissent enfin dans un mouvement pluraliste et multiconfessionnel13.
Avec la naissance de la FFE en 1921, Antoinette Butte continue alors de s’engager pleinement dans le scoutisme. Totémisée « Grand Lama » à la fin de la guerre, passée par un stage de formation en Angleterre dont elle garde un souvenir mitigé, elle finit par revenir en 1920 à Lunéville avec sa mère et ses sœurs. Elle a alors 22 ans et elle laisse aux « fondatrices » la charge et l’organisation du scoutisme parisien. C’est peut être pour cette raison qu’elle n’apparaîtra pas parmi les cinq de « la main », la première équipe nationale de la FFE. Elle organise néanmoins avec Sibette Weber (« Loup Brun »)14 le scoutisme féminin dans la région Est et l’organisation d’un congrès national scout. Elle fréquente aussi l’Armée du Salut et poursuit ses études de droit, elle devient avocate stagiaire au barreau de Nancy mais cette expérience professionnelle ne l’enchante guère. Dans ses souvenirs, Antoinette s’épanouit alors pleinement dans une vie simple faite de nuits sous la tente à dormir à même le sol15, de chants et de cantiques, ainsi que de méditations et de prières partagées avec les éclaireuses. Depuis la fin de la guerre, sa vie est également « centrée ». Elle raconte en effet comment en septembre 1918 à Nemours, au cours d’une prière avec Camille Savary et Violette Mouchon elle est atteinte par la présence de Dieu16. Mais surtout, c’est à partir des années 1920 qu’Antoinette trouve dans la méditation et la prière des ressources pour surmonter la maladie et la fatigue qui viennent parfois la terrasser alors qu’elle met toute son énergie à organiser et faire vivre le scoutisme féminin. Revenue à Paris en 1924, c’est à travers l’Armée du Salut qu’elle commence à pratiquer régulièrement des retraites spirituelles dans une maison à Fontenay-aux-Roses, trois jours par mois. Elle fait également la rencontre du pasteur Wilfred Monod, fondateur du mouvement des Veilleurs17, qui lui propose de créer son propre lieu de retraite spirituelle. C’est ainsi que commence pour Antoinette son engagement dans une petite communauté faite de prière et de pauvreté à Saint-Germain-en-Laye où elle est rejointe par d’autres cheftaines de la FFE : Jeanne Tendil, Marguerite Simonin (« Pain Bis »), « Macri » Léo et Marie-Christine18. En 1937, l’Association des Pasteurs de France demande à cette association de Saint-Germain d’ouvrir un nouveau lieu de prière près de Tarascon, un lieu qui donnera naissance à la communauté de Pomeyrol dans laquelle Antoinette passera ensuite le reste de sa vie. Mais les difficultés de la deuxième guerre mondiale ne permettent pas tout de suite cette mutation, les anciennes camarades d’Antoinette s’engagent auprès des réfugiés ou dans des services de guerre. De son côté Antoinette est présente en 1941 lorsque les fameuses thèses de Pomeyrol sont rédigées et qui marquent une prise de position de l’Église Réformée contre le nazisme et la collaboration19, son lieu de retraite spirituelle est par la suite tour à tour occupée et détruit avant d’être récupéré en 1946 par la communauté dans un état critique. Rejointe par de nouvelles sœurs, Antoinette remet la communauté de Pomeyrol sur pieds, en 1983 elle étaient ainsi 17 sœurs consacrées à la prière, les retraites et l’accueil de groupes ou d’individus. De nombreuses éclaireuses retrouvèrent ainsi dans ce lieu une « atmosphère de gentillesse et de sestralité très scoute »20. C’est ainsi qu’Antoinette Butte resta jusqu’à ses derniers jours en lien avec le mouvement de la Fédération Française des Éclaireuses qui l’avait vu participer à sa construction et se construire elle même pour s’engager pleinement dans la religion et la vie en communauté.
1Le mouvement des Veilleurs (ou « Tiers ordre des Veilleurs » dans son appellation originelle) est un groupe de prière fondé en 1923 par le pasteur Wilfred Monod qui s’organise en communauté tout en se distinguant d’une forme de monachisme. Ce mouvement protestant accorde une place prépondérante à la prière et la méditation.
2Les cinq fondatrices de la FFE, souvent désignées comme les « cinq de la main » sont : Marguerite Walther (1882-1942), Georgette Siegrist (1887-1981), Renée Sainte-Claire Deville(1889-1968), Violette Mouchon (1893-1985), et Madeleine Beley(1900-1994).
3Témoignage d’Antoinette Butte, avril 1980, accès en ligne : https://eeudf.org/archives/
4Témoignage d’Antoinette Butte, avril 1980, accès en ligne : https://eeudf.org/archives/
5Le groupe d’« éclaireuses » de l’UCJF Paris-Naples serait le plus ancien groupe à avoir pratiqué un scoutisme féminin, dont la première sortie remonterait au mois de juin 1912. Voir à ce propos la travail de recherche de Takako TOBITA, La Fédération Française des Éclaireuses (FFE) : une histoire de jeunes filles et de femmes dans un mouvement scout féminin en France (1911-1970), thèse dirigée par Laura Lee DOWNS, EHESS, 2018.
6Association des anciennes de la FFE, DT n°XV, 1983
7Il s’agit de la pièce Les Éclaireuses, écrite par Maurice Donnay et joué en 1913 à la comédie Marigny à Paris. La pièce est notamment présentée comme une pièce féministe par la journaliste, écrivaine et militante Marguerite Durand dans une conférence dont les notes sont accessible sur le site de l’université de San Diego : Durand, Marguerite and Magnin, Michèle C., « Conférence sur « Les Eclaireuses » (1913), pièce de Maurice Donnay » (1913).Tome 1.10. https://digital.sandiego.edu/durand-tome1/10
8C’est le terme utilisée par Antoinette Butte dans son témoignage d’avril 1980.
9Anecdote rapportée par A. Butte dans son témoignage d’avril 1980, racontant comme la publication de la loi de l’éclaireuse et du premier manuel français de scoutisme féminin se sont retrouvés conditionnés à la non explosion d’un obus de la DCA tiré dans son immeuble.
10Association des anciennes de la FFE, DT n°XV, 1983
11Témoignage d’Antoinette Butte, avril 1980, accès en ligne : https://eeudf.org/archives/
12Témoignage d’Antoinette Butte, avril 1980, accès en ligne : https://eeudf.org/archives/
13Takako TOBITA, La Fédération Française des Éclaireuses (FFE) : une histoire de jeunes filles et de femmes dans un mouvement scout féminin en France (1911-1970), thèse dirigée par Laura Lee DOWNS, EHESS, 2018, p.26
14Association des anciennes de la FFE, DT n°XV, 1983
15Dans son témoignage d’avril 1980, Antoinette Butte s’étonnera de l’utilisation des matelas et lits de camps qui privent selon elle d’un contact avec une « terre aux énergies bienfaisantes ».
16Association des anciennes de la FFE, DT n°XV, 1983
17Voir plus haut.
18Ces noms sont donnés sans plus de précisions, en particulier concernant Marie-Christine, dans le DT n°XV, 1983.
19« Les thèses de Pomeyrol sont des positions rédigées les 16 et 17 septembre 1941 par douze membres de l’Église réformée de France (ERF), afin de fournir un appui théologique à la résistance au nazisme, contre l’esprit de collaboration et le défaitisme, en appelant à une résistance spirituelle. Les signataires souhaitent que l’Église réformée de France prenne position sur l’occupation et ses conséquences, notamment pour les juifs persécutés. Ces thèses sont adoptées par le synode régional d’Annecy et le Conseil national de l’Église réformée de France décide début 1942 de les diffuser à tous les présidents de conseils régionaux. » (source : Les thèses de Pomeyrol, Wikipédia, janvier 2021).
20Association des anciennes de la FFE, DT n°XV, 1983