Simone Jacob est née le 13 juillet 1927 à Nice dans une famille de quatre enfants, dont un grand frère Jean et deux sœurs aînées : Madeleine la plus âgée (surnommée Milou) et Denise. Cette dernière est connu sous son nom d’épouse, Vernay. Dans sa biographie1, Simone aime à rappeler les origines juives de ses parents mais également leur attachement profond à la laïcité, ce qui explique pourquoi Simone et ses sœurs ont fréquenté la section neutre de la Fédération Française des Éclaireuses2 et non la section israélite. Après leur rencontre et mariage à Paris, les parents de Simone s’installe à Nice quelques années avant sa naissance car son père prévoit d’exercer son métier d’architecte dans un contexte de construction et de développement du littoral. De son côté, sa mère doit mettre fin à ses études de chimie pour s’occuper des enfants et du foyer. Malheureusement la famille doit subir la crise économique de 1929, mais malgré les difficultés Simone dépeint une enfance heureuse en particulier avec ses frères et sœurs et plus tard avec les éclaireuses.
La FFE est comme une deuxième famille pour Simone, d’ailleurs toute la famille participe à la vie des éclaireuses. Sa mère confectionne les cravates3, ses sœurs Milou et Denise se consacrent à la tâche de cheftaine juste avant que la famille ne subisse les déportations4. Simone raconte dans sa biographie : « Les éclaireuses étaient toutes des camarades de lycée, et nos familles se fréquentaient et se rendaient des services. […] J’avais ainsi le sentiment de vivre au sein d’une communauté aux contours informels, mais à l’intérieur de laquelle les échanges étaient multiples et chaleureux »5. Très vite arrive l’entrée en guerre, Simone a 12 ans et c’est de cette période dont elle se souvient lorsqu’elle évoque les camarades de lycée et les camps d’éclaireuses. Pendant l’été 1939, Simone et les éclaireuses de la section neutre du groupe Nice IV campent au Mont Aigoual6. Une épidémie de scarlatine se déclare ce qui oblige Simone et ses sœurs à rentrer chez leurs parents où elles apprennent la nouvelle de l’entrée en guerre de la France. Mais la vie suit sont cours, au lycée comme à la compagnie des éclaireuses. C’est probablement aux alentours de cette période que Simone reçoit son totem : Lièvre astucieux7.
En 1943, la situation se complique pour la famille Jacob qui subit de plus en plus l’antisémitisme de Vichy et des occupants nazis. En septembre, alors que les sœurs de Simone participent à un camp de cheftaines8 elle doivent prendre une décision importante, rejoindre leurs parents et leur famille qui se cachent à Nice ou trouver un autre endroit plus sûr. Denise s’engage alors dans le mouvement de résistance Le Franc Tireur dans la région lyonnaise, de son côté Milou décide de revenir pour aider la famille à vivre. La situation se dégrade et la famille se disperse donc chez divers amis munis de fausses cartes d’identité. Milou et Simone logent chez d’anciens professeurs. Deux mois après le début de l’année scolaire Simone doit quitter le lycée suite à l’arrestation d’autres lycéennes juives, désormais elle prépare le baccalauréat par ses propres moyens. Le 29 mars 1944 Simone passe les épreuves sans difficultés, le lendemain c’est en rejoignant des amies pour fêter la fin des examens qu’elle est arrêtée au cours d’un contrôle d’identité9. Toute la famille est ensuite rapidement arrêtée. Ironie du sort, au mois d’avril la FFE publie une revue dans laquelle apparaît Simone, intitulée Comment mener une compagnie d’éclaireuses10. L’année suivante alors qu’elle quitte le camp d’Auschwitz-Birkenau le 18 janvier 194511, Simone réapparaît dans les documents de la FFE mais cette fois sur un calendrier12.
De la deuxième guerre mondiale la famille Jacob en sort dévastée. Le père et le frère de Simone sont morts disparus après leur déportation dans les Pays Baltes. Denise qui a été arrêtée pour faits de résistance est déportée en juillet 1944 à Ravensbrück, tandis que Simone, Milou et leur mère sont emprisonnées à Auschwitz-Birkenau, Simone sous le matricule 78651. Face à l’avancée des Alliés, Milou, Simone et leur mère sont déplacées de camp en camp entre janvier et le printemps 1945. Le 23 mai, Milou et Simone rentrent enfin en France et retrouvent leur sœur Denise, leur mère est décédée du typhus à Bergen-Belsen un mois avant la libération du camp par les troupes britanniques le 17 avril 1945.
Le retour à une vie normale est difficile pour Simone et ses sœurs comme pour les ancien·ne·s déporté·e·s en Europe. Accueillie par son oncle et sa tante à Paris Simone se décide à étudier pour exercer une profession. Le souvenir de sa mère qui regrettait de n’avoir pas terminé ses études et de dépendre financièrement de son mari l’encourage dans cette voie13. Décidée à devenir avocate elle s’inscrit à la faculté de droit, mais curieuse de découvrir le tout nouveau Institut d’Études Politiques elle est aussi une des rares filles admise dans une conférence regroupant des étudiants « qui avaient connu des problèmes pendant la guerre »14. Simone poursuit ensuite les cours et les conférences à Sciences-Po. C’est au cours de ses études qu’elle rencontre son futur mari Antoine Veil, elle l’épouse à l’automne 1946. Grâce aux réseaux de l’institution et au coup de pouce d’un professeur et voisin du jeune couple, Antoine devient attaché parlementaire, puis obtient un poste dans un consulat en Allemagne ce qui amène Simone et sa famille à déménager à Wiesbaden en 1950. Simone participe pleinement au travail de son mari en lui préparant des notes, des résumés de dossiers et en lui faisant la lecture15. Elle s’occupe également de deux enfants en bas âge et des tâches ménagères, elle consacre finalement peu de temps à passer des examens de droit tandis qu’Antoine prépare le concours de l’ENA. À l’été 1951 c’est le drame, sa sœur Milou décède dans un accident de voiture au retour d’une visite à sa sœur en Allemagne.
En 1953, suivant son mari qui a été reçu à l’ENA, Simone retourne en France et continue sa vie de famille en province. Un troisième fils voit le jour dans la famille Veil. Simone décide alors de s’inscrire au barreau pour devenir avocate, ce à quoi Antoine s’oppose dans un premier temps16. Depuis 1946 les femmes sont autorisées à s’inscrire au concours de la magistrature, face à la détermination de Simone mais malgré l’opposition de son mari, un compromis se met en place : « j’abandonnais ma vocation d’avocat au profit d’une carrière de magistrat, sans doute moins prenante, et lui acceptait que je ne reste pas à la maison pour élever les enfants et préparer le dîner »17. En mai 1954, malgré une nouvelle argumentation dissuasive de la part du secrétaire général du parquet de Paris, Simone s’inscrit au parquet général comme attachée stagiaire. « J’avais vingt-sept ans, des diplômes, un mari, trois enfants, un travail. J’étais enfin entrée dans la vie »18.
Dès son entrée dans le milieu de la justice, Simone s’intéresse à des sujets sensibles comme la question des prisons et des conditions de détentions des prisonnier·ère·s. Son expérience d’enfermement à Auschwitz l’amène à se soucier en particulier du sort des femmes détenues, mais elle rencontre aussi une certaine opposition dans l’opinion publique et les institutions. Simone est aussi en charge de dossiers judiciaires concernant les violences sexuelles (pédophilie, viols, inceste…), puis d’un autre sujet brûlant : la question des conditions de détention des prisonnier·e·s algérien·ne·s. Quelques mois à peine après son arrivée au ministère de la justice Simone est envoyée en Algérie pour informer le ministre sur ce qu’il se passe alors dans les établissements pénitenciers, elle se souvient avoir été très mal reçu dans un contexte de tortures et d’exactions militaires à peine voilées19. Cette fois encore, Simone s’inquiète plus particulièrement de la situation des femmes prisonnières. Mais Simone raconte que c’est la pression familiale, surtout exercée par son mari20, qui va l’encourager à mettre fin à son travail sur la question des prisons. Elle reçoit des propositions pour rejoindre des commissions d’études parlementaires sur les questions d’adoption, une autre sur le statut des malades mentaux, finalement elle est nommée à la Direction des affaires civiles.
Arrivent alors les événements du printemps 1968, que Simone observe avec beaucoup de bienveillance. Dans sa biographie elle déclare partager alors les aspirations de la jeunesse à une société transformée, c’est à cette occasion qu’elle rejoint le syndicat de la magistrature. Mais c’est aussi un moment de grande déception, face à une transformation de la société qui ne vient pas ou peut être plutôt face à un mouvement dans lequel elle ne se reconnaît pas. Après le départ du général De Gaulle, Simone se retrouve nommée au cabinet du ministre de la Justice de Georges Pompidou, puis elle accepte un poste de secrétaire du Conseil supérieur de la magistrature. Claude Pompidou la recrute également au secrétariat de sa fondation pour handicapés et personnes âgées. Enfin, le président la nomme à un poste d’administratrice de l’ORTF en charge de représenter l’État, c’est la première femme à siéger dans ce conseil d’administration ainsi qu’à la Fondation de France où elle est nommée au même moment.
La carrière de Simone Veil prend un nouveau tournant lorsque le premier ministre Jacques Chirac, à la demande du président Valéry Giscard d’Estaing, se met à la recherche de femmes nouvelles en politique pour rejoindre le gouvernement. C’est ainsi que Simone fait son entrée en politique, en tant que ministre de la Santé. Son prédécesseur Michel Poniatowski, qui prend alors en charge le ministère de l’Intérieur informe Simone de l’importance de la question des avortements clandestins21. La nouvelle ministre de la Santé s’attelle alors rapidement à ce sujet de société majeur. Le travail de Simone Veil s’inscrit à la suite du rejet d’un texte de Jean Taittinger, garde des Sceaux sous Pompidou, à la portée limitée puisqu’il prévoyait seulement d’autoriser l’avortement en cas de mise en danger de la mère. Sensibilisée à cette question lors de son exercice de la Justice, Simone décide de préparer un texte de loi plus ambitieux comprenant grâce à Poniatowski que le ministère de la Santé serait plus à même de réussir là où celui de la Justice était en échec. Si Simone a alors également le soutien du président, elle doit affronter une Assemblée nationale plutôt opposée à toute législation sur la question, ainsi qu’un premier ministre assez frileux : « Les femmes se sont toujours débrouillées. Elles continueront à se débrouiller »22. Mais finalement Jacques Chirac finit par se ranger derrière Giscard d’Estaing et soutenir sa ministre de la Santé. Dans la nuit du 29 novembre 1974 la loi autorisant l’avortement est votée à l’Assemblée nationale par 284 voix contre 189. Promulguée en janvier 1975 pour une durée expérimentale de cinq ans, elle est prolongée sans limite de temps en décembre 1979.
En 1979 la carrière politique de Simone Veil prend un nouveau tournant, européen cette fois. Elle est tête de liste pour le parti de Giscard d’Estaing, l’UDF, et sa liste arrive en première place des élections européennes du mois de juin. Valéry Giscard d’Estaing voit alors en Simone Veil un symbole politique fort, celui de la réunification franco-allemande ce qui l’amène à candidater au poste de présidente du parlement européen. C’est ainsi que Simone devient la première présidente du nouveau parlement européen à la mi-juillet de l’année 1979. En 1984, Simone Veil est réélu en tant que députée européenne et tête de liste pour l’UDF.
En mars 1993 Simone Veil revient aux affaires politiques dans un contexte de cohabitation sous Mitterrand. Elle est nommée dans le gouvernement d’Édouard Balladur ministre de la Santé, des affaires sociales et de la ville. Puis Simone décide de quitter la politique au moment où le président du Sénat lui propose d’entrer au Conseil Constitutionnel. Elle y exerce de 1998 à 2007. De 2001 à 2007 elle est également présidente de la Fondation pour la mémoire de la Shoah. En 2010 Simone Veil entre aussi à l’Académie française, sur son épée d’académicienne figure son numéro de déportation ainsi que les devises française et européenne.
En 2013 le mari et la sœur de Simone Veil décèdent, elle décide alors de se retirer de la vie publique. Quelques années plus tard sa santé se dégrade, elle meurt à son domicile parisien le 30 juin 2017 quelques jours avant son 90e anniversaire. Un hommage national lui est rendu le 5 juillet 2017 aux Invalides, puis Simone est inhumée dans un premier temps au cimetière du Montparnasse aux côtés de son mari. Enfin, en juin 2018 les cercueils des époux Veils sont exhumés puis exposés au mémorial de la Shoah avant de rejoindre le Panthéon le 1er juillet. Simone Veil est la cinquième femme panthéonisée de l’histoire de France.
1 Simone Veil, Une Vie, Paris, Stock, 2007
2 Pour plus de simplicité nous utiliserons le sigle FFE
3 Ibid., p.26
4 Michel Sarazin, Une femme Simone Veil, Paris, Robert Laffont, 1987, p.38
5 Simone Veil, Une Vie, Paris, Stock, 2007, p.26
6 Ibid., p.35
7 D’autres biographies avancent le totem de « Lièvre agité » voir de « Balkis » en référence à la reine de Saba, donné par Milou vers 1941-1942. C’est ce qu’avance Michel Sarazin dont son ouvrage Une femme Simone Veil, précédemment cité à la page 23. Pourtant les archivistes du Réseau Baden Powell et la présidente des anciennes de la FFE, Denise Zwilling ont une autre interprétation plus plausible : les archives de la FFE ont conservé le totem « Lièvre astucieux », aucune trace de Balkis ou d’un lièvre agité. L’adjectif doit normalement correspondre à une qualité de la personne qui reçoit son totem, « astucieux » semble en effet plus plausible.
8 Ibid., p.44
9 Ibid., p.47
10 FFE, Comment mener une compagnie d’éclaireuses – section neutre, avril 1944. Avec l’aimable autorisation du Réseau Baden Powell.
11 Simone Veil, Une Vie, Paris, Stock, 2007, p.59
12 FFE, Calendrier de l’année 1945, page du mois d’août. Avec l’aimable autorisation du Réseau Baden Powell, source : Anthony Cauche.
13 Simone Veil, Une Vie, Paris, Stock, 2007, p.114
14 Ibid., p.115
15 Ibid., p.127
16 Ibid., p.130
17 Ibid., p.131
18 Ibid., p.132
19 Ibid, p.147
20 Ibid., p.151 : « Écoute, tes prisons, ça commence à bien faire. Il n’est question que de cela à la maison. J’en ai assez des prisons ! Je ne veux plus en entendre parler ».
21 Ibid, p.180. L’autobiographie de Simone Veil vient appuyer la thèse d’une loi sur la légalisation de l’avortement destinée principalement et presque exclusivement à régler la question des avortements clandestins qui scandalise et inquiète une partie de l’opinion publique y compris à droite.
22 Jacques Chirac cité par Simone Veil, Une Vie, Paris, Stock, 2007, p.188