Jeanne Menegoz
Le service avant tout.

« Le scoutisme, c’est l’apprentissage du service.
On est sur Terre pour rendre service ! »
Rencontrer Jeanne Menegoz, surnommée Janou, c’est faire un voyage dans le temps aux débuts du scoutisme féminin. C’est aussi découvrir l’histoire d’une famille alsacienne en temps de guerre.


Son père, Paul Stauffert, grandit dans une famille protestante. Mais la 1ère guerre mondiale est un traumatisme. Il combat avec les Allemands alors que ses frères réussissent à rejoindre le camp français. De retour à Strasbourg, il quitte l’Église et n’y retourne plus, malgré les venues régulières du pasteur dans la famille. Après ses études, il travaille pour entretenir les machines d’usine. Un jour, chez un ami, il voit une photo et tombe amoureux d’une des filles qui pose, Anne-Salomé Knopf, qu’il épouse et avec qui il aura 5 enfants. Jeanne est la cadette, elle nait en avril 1922 à Strasbourg.

En 1932, elle a 10 ans. Sa tante Charlotte, qui a entendu parler du scoutisme par un collègue de travail, monsieur Ribe, convainc ses parents de l’inscrire aux éclaireuses. Jeanne est bien contente, car elle s’ennuie beaucoup chez elle. Elle rejoint la section « Loup-Brun ».
C’est là qu’elle fait la connaissance d’une cheftaine qui va marquer sa vie : « Sympa ». Cette jeune institutrice, mademoiselle Elisabeth Clenchi, est une éducatrice remarquable aux yeux de Jeanne et de ses camarades. Elle transmet aux éclaireuses l’importance du service.
Tous les samedis après la classe, les éclaireuses se retrouvent au local rue Serrurier, près de la place Güttenberg, en uniforme (chapeau, cravate, jupe, chemise et cape beige). Elles sont encadrées par des cheftaines d’une trentaine d’années, célibataires et sans enfants. Chacune a sa spécialité d’où vient parfois un surnom, comme « cheftaine Triton » !
Les éclaireuses sont réparties en clans de 5 ou 6 éclaireuses menés par une cheffe de clan. Les cheftaines achètent le matériel de base mais chaque clan peut utiliser son argent pour l’améliorer.
Cet argent provient d’initiatives variées : Jeanne fabrique et vend des filets de provisions, par exemple. Tous les lundis, une cheftaine « fait boutique » et vend du matériel scout stocké dans son appartement : des insignes, les uniformes, de la ficelle … et bien sûr des « bonamos », ces énormes faitouts surnommés ainsi en l’honneur des Bonnamaux, deux frères à l’origine des Eclaireurs Unionistes de France.
Jeanne ne se souvient pas précisément de leurs activités pendant l’année. Elle revoit Sympa leur raconter des histoires, toujours choisies en fonction d’un thème biblique. Car si la section a la particularité de ne dépendre d’aucune paroisse, la Bible et la vie spirituelle sont très présentes. Les jeunes filles chantent beaucoup, en particulier des cantiques.
Les camps sont des temps à la fois simples et marquants. Pour y aller, c’est déjà une aventure : il faut prendre le train avec les tentes, le matériel, le ravitaillement … et même les vélos, comme pour le camp vers les Châteaux de la Loire. Et ce n’est parfois que la première étape. Jeanne se souvient encore du voyage en char à bœufs d’un jour entier qu’elle a fait en tant que cheftaine pour rejoindre le lieu de camp !
Chaque jour, le lever des couleurs est fait au son des chants. Il est chaque fois suivi d’une étude biblique. Les activités quotidiennes occupent beaucoup de temps. Il faut notamment couper du bois pour les installations ou pour le feu qui est utilisé à chaque repas. Jeanne se souvient de certains jeux de ballons, comme la balle au prisonnier. Les clans peuvent obtenir des brevets, comme celui de bricolage ou de cuisine.

En 1939, la guerre éclate. La famille Stauffert part se réfugier dans une maison familiale près de Molsheim. Très vite, Jeanne cherche à se rendre utile. « Je ne pouvais pas rester les bras ballants ! Service, service ! », martèle l’ancienne éclaireuse d’un ton évident.

Elle contacte les éclaireuses de Paris – « à l’époque, on se connaissait toutes ! ». Celles-ci lui
proposent de venir à Paris pour se mettre au service du Service Social, qui lui propose d’aller au préventorium de Senlis, un lieu d’accueil pour enfants malades. La mémoire est intacte pour parler du départ de Molsheim, le 2 janvier 1940 : le froid, le train du soir, le silence des soldats partant pour la guerre et la coupure avec sa famille. Jeanne s’occupe donc des enfants du « Prevent » et y fête ses 18 ans le 17 avril 1940. Quand Paris est bombardée peu après, c’est le départ en urgence pour Hendaye. Là-bas, des hôtels sont ouverts pour accueillir en priorité les enfants isolés. Jeanne suit, s’éloignant davantage de sa famille.
Au même moment, ses parents sont contraints de quitter l’Alsace, bombardée par les Allemands. Ils partent pour la Suisse qui les accepte mais les considère comme des prisonniers, sans aucun droit de donner des nouvelles. Pendant plusieurs mois, Jeanne ne sait pas ce qu’ils sont devenus. Elle reste 8 mois à Hendaye puis rejoint sa tante à Nevers. Finalement, après plusieurs péripéties, Jeanne réussit à passer en zone libre jusqu’à Thonon où l’attendent ses parents.
C’est près de Grenoble qu’ils s’installent, une région qu’elle ne quittera plus. Après la guerre,
Jeanne devient cheftaine d’éclaireuses à Grenoble pendant deux ans. Elle suit des études
d’assistante sociale.
Plus tard, elle épouse Jean-Claudel Menegoz avec qui elle aura 6 enfants. Elle s’engage dans l’équipe d’entraide de la paroisse et fait aussi l’école biblique à Saint-Egrève.

Depuis 60 ans, Jeanne habite dans une magnifique maison avec vue sur le Vercors. Dans une immense armoire, sa fille trouve pour nous un album-photos un peu oublié : celui où sont rangées toutes les photos de sa mère éclaireuse. On y voit des installations soignées, des départs en camp,
des jeunes femmes réparant des vélos, des clans en uniforme posant devant les tentes canadiennes, des temps de promesse … Si le scoutisme a changé par certains aspects, des choses perdurent : la vie en équipe, les jeux dans la nature, ou, comme le rappelle Jeanne, le fait d’être prêt à aider les autres.


Céline Trocmé-Fourcaud
Rencontre le 27/02/2020 à Saint-Egrève